Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/40

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écus ? Becky et Rawdon s’étant retrouvés tous deux en bonne santé après la bataille de Waterloo, allèrent passer ensemble l’hiver de 1815 à Paris, au milieu de tous les raffinements du luxe et des plaisirs. Rebecca calculait à merveille, et dans ses comptes l’argent qu’elle avait soutiré au pauvre Joseph Sedley pour ses deux chevaux devait fournir pendant une année au moins aux dépenses de sa maison. Du reste, il ne se présenta pas d’acheteur pour les pistolets de combat qui avaient envoyé la mort au capitaine Marker, pour le nécessaire en or et le manteau doublé de fourrure. Becky avait transformé ce dernier en une pelisse qu’elle mettait pour aller à cheval au bois de Boulogne, où tous les promeneurs s’arrêtaient pour l’admirer.

Nous ne parlerons que pour souvenir de l’accueil enthousiaste que lui fit son mari lorsqu’après l’avoir rejoint à Cambrai, elle se mit à découdre toutes les doublures de ses robes, et qu’il en sortit pêle-mêle montres, breloques, bijoux et valeurs de toute espèce, cachés par elle dans la ouate, pour le cas où il aurait fallu fuir de Bruxelles. Tufto n’en revenait pas, Rawdon en pouffait de rire, et jurait que de sa vie il n’avait vu jouer de tours pareils. Puis c’était un feu roulant de plaisanteries sans fin sur le compte du pauvre Joe, le tout assaisonné par la verve piquante que l’on connaît à Rebecca. L’admiration du mari pour sa femme était fort voisine de la folie ; sa foi en elle ne pouvait se comparer qu’à celle des soldats français en leur empereur.

À Paris, Rebecca marcha de triomphe en triomphe. Les dames françaises la trouvaient charmante ; elle parlait leur langue dans la perfection ; les imitait à s’y méprendre dans leurs modes, leur vivacité et leurs manières. Son mari, à la vérité, était une espèce de souche ; mais n’est-ce pas là le caractère de tous les maris anglais, avec une variation du plus au moins ? Et puis à Paris, comme on sait, il suffit d’un mari ridicule pour rendre une femme intéressante. Crawley n’était-il pas d’ailleurs l’héritier de la riche miss Crawley qui avait donné asile, dans sa maison, à tant de nobles émigrés français ? C’était donc la moindre chose que leurs hôtels s’ouvrissent en retour à la femme du colonel.

Une grande dame, à laquelle miss Crawley avait acheté, sans marchander, ses dentelles et ses bijoux, qu’elle avait sou-