Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/408

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que j’ai fréquenté jusqu’ici. Ah ! si vous saviez combien il m’a fallu supporter de chagrins et de soucis. Voyez-vous, avec les tourments que j’ai soufferts, il y a eu de quoi me rendre folle. Maintenant, mon humeur inquiète me promène de pays en pays ; et au milieu de cette vie agitée et malheureuse, j’espère en vain m’affranchir du chagrin qui me poursuit. Tous mes amis m’ont trahie, tous ! entendez-vous bien ? Non, non, la terre tout entière ne porte pas un homme d’honneur. Ce qui du moins fait ma force, c’est que ma conscience ne me reproche rien ; car si j’ai épousé mon mari, c’était parce que, dans mon dépit, je voyais qu’un autre… Mais laissons cela. Ma conduite a toujours été celle de l’honneur et de la droiture, et, en retour, je n’ai trouvé que mépris et abandon. On n’a rien respecté, pas même mes affections maternelles : l’enfant de mon amour, qui faisait mon espoir, ma joie, ma vie, mon orgueil, l’unique objet de mes plus secrètes prières, eh bien ! on a eu la cruauté de me l’enlever, de venir le prendre presque dans mes bras. »

En même temps, elle accompagnait ces paroles des signes du plus violent désespoir ; elle portait la main sur son cœur et se frappait la tête contre le traversin. La bouteille à l’eau-de-vie qui s’était égarée dans ces parages, tinta contre l’assiette où se trouvaient les restes du pâté, ce qui produisit un cliquetis des plus propres à produire la pitié. C’était sans doute l’émotion qui les gagnait au spectacle de cette grande douleur. Max et Fritz écoutaient à la porte, tout surpris des sanglots et des pleurs de mistress Becky ; Jos aussi était à la fois effrayé et ému en voyant l’ancien objet de ses flammes dans cet état de grande exaltation. À la faveur de la compassion qu’elle avait réussi à faire naître, Rebecca se mit à raconter son histoire avec une simplicité, une naïveté, un abandon qui portaient la persuasion dans le cœur de son auditeur. Comment, après un récit aussi véridique, hésiter à la prendre pour un ange descendu du ciel pour être sur cette terre la victime des infernales machinations de ces vilains diables que l’on y rencontre. Oui, c’était bien une créature immaculée, une martyre inébranlable au milieu des persécutions, que cette femme que Jos voyait assise sur le lit à côté de la bouteille d’eau-de-vie.

Leur entretien se prolongea encore fort longtemps et fut des plus tendres et des plus confidentiels. Ce fut au milieu de ces touchants épanchements que Jos apprit, d’une manière qui ne