Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/88

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ques petits nuages à l’occasion de l’enfant ; c’était comme un secret sentiment de jalousie entre ces deux femmes, à propos de l’objet commun de leurs affections. Un soir, dans le temps où George était encore tout petit, Amélia, occupée à travailler dans le petit salon, s’aperçut tout à coup que sa mère avait quitté la pièce ; poussée comme par un instinct maternel, elle se rendit en toute hâte dans la chambre de son fils ; l’enfant, qui jusqu’alors avait dormi d’un profond sommeil, poussait des cris lamentables, et Amélia trouva mistress Sedley occupée à lui administrer en cachette de l’élixir de Daffy. Amélia, cette femme que nous avons toujours tenue pour si douce et si inoffensive, en voyant son autorité maternelle ainsi menacée d’empiétement, sentit un frisson de colère parcourir tous ses membres ; ses joues, ordinairement pâles, se couvrirent d’une vive rougeur et reprirent l’éclat qu’elles avaient eu jadis lorsqu’elle avait été une jolie petite fille de douze ans. Elle arracha l’enfant aux bras de sa mère, saisit la bouteille, et, tandis que la vieille dame, muette de colère, la regardait tout en brandissant la cuiller accusatrice, Amélia jeta la bouteille dans la cheminée où elle alla se briser en mille morceaux.

« Je n’entends point, ma mère, que vous empoisonniez cet enfant avec vos drogues, criait Emmy dont l’émotion se trahissait par l’agitation convulsive avec laquelle elle berçait son enfant dans ses bras et par les regards flamboyants qu’elle lançait du côté de sa mère.

— Empoisonner ! Amélia, reprenait la vieille dame ; empoisonner ! songez-vous bien que vous parlez à votre mère.

— Georgy ne prend d’autres médicaments que ceux qui sortent de chez Pestler. M. Pestler m’a dit, du reste, que votre élixir était du poison.

— Courage ; de mieux en mieux. Vous m’accusez, alors, de meurtre et d’assassinat, répliqua mistress Sedley, et c’est à votre mère que vous n’avez point honte de tenir un pareil langage ! Ah ! j’ai passé par de bien rudes épreuves sur cette terre ; je suis tombée bien bas sous les coups de la fortune ; après avoir eu une voiture j’ai pu me voir réduite à aller à pied ; mais c’est la première fois que je m’entends dire que je suis une empoisonneuse, et je vous suis fort obligée de me l’avoir appris.

— Ma mère, dit la pauvre enfant, toujours prête à fondre en larmes, vous êtes bien sévère à mon égard. Je n’ai pas voulu