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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/142

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Et cependant Amélia n’était jamais plus contente que lorsqu’elle ne les rencontrait pas quand elle venait les voir ; miss Jane Osborne, miss Maria Osborne et miss Wirt se demandaient avec un étonnement toujours croissant : « Qu’y a-t-il de si séduisant pour George dans cette créature ? »

« Comment donc, va s’écrier quelque esprit chicanier, comment Amélia, qui avait tant d’amis à la pension, qu’on y aimait si tendrement, se trouve-t-elle en butte, dès son entrée dans le monde, aux critiques de son sexe ? »

Mon cher monsieur, il n’y avait pas d’hommes chez miss Pinkerton, excepté le maître de danse, et il n’avait rien en lui de bien propre à allumer la guerre entre ses élèves. Mais quand George, le cavalier accompli, sortait tout de suite après déjeuner et dînait dehors environ six fois par semaine, il n’est pas étonnant que ses sœurs négligées en ressentissent un peu de dépit. Quand le jeune Bullock, de la maison Hulker, Bullock et Comp., banquiers, Lombard-Street, fort empressé depuis deux ans auprès de miss Maria, allait demander à Amélia de lui accorder un cotillon, pouvez-vous supposer que cela fît plaisir à l’autre jeune dame ? Et cependant, à l’entendre, elle se donnait pour une petite fille bien naïve et sans rancune.

« Je suis enchantée de vous voir aimer cette chère Amélia, disait-elle d’un air fort tendre à M. Bullock à la suite d’une contre-danse, elle doit épouser mon frère George ; il n’y a pas grand fonds chez elle, mais c’est une si bonne fille et sans la moindre affectation ! Nous l’aimons tant à la maison ! »

Chère demoiselle ! qui pourrait dire le degré d’affection et d’enthousiasme contenu dans ce tant ?

Miss Wirt et ces deux charitables jeunes filles s’extasiaient si hautement et si souvent en présence de George Osborne sur l’énormité du sacrifice qu’il faisait et sur sa générosité chevaleresque à se mettre ainsi aux pieds d’Amélia, que je ne serais pas éloigné de croire qu’il se regardait comme un des soldats les plus méritants de l’armée anglaise, et qu’il se laissait adorer par esprit de résignation.

Toutefois, s’il quittait la maison tous les matins, comme on l’a dit, s’il dînait dehors six jours par semaine, ce qui le faisait passer auprès de ses sœurs pour un jeune passionné, toujours