Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/150

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une de ces précieuses dépêches, l’avait vu à sa grande stupéfaction allumer son cigare avec une de ces lettres.

Pendant quelque temps, George essaya de tenir sa liaison secrète ; mais il laissait toutefois entrevoir qu’il s’agissait d’une femme.

« Et pas la première venue, disait l’enseigne Spooney à l’enseigne Stubbles ; c’est un gaillard que cet Osborne. La fille du juge de Demerara en était devenue folle ; et puis, après, est venu le tour de la belle mulâtresse Miss Pye, à Saint-Vincent, vous savez ; et depuis notre retour, on dit qu’il fait pis que don Juan et rendrait des points au diable. »

Stubbles et Spooney pensaient que faire pis que don Juan était se distinguer par les plus belles qualités qu’un homme pût avoir. La réputation de George était colossale parmi les jeunes officiers du régiment : il était fameux comme chasseur, fameux comme chanteur, fameux à la parade, fameux en tout et prodigue de l’argent qu’il devait à la libéralité de son père ; aucun habit, au régiment, n’avait meilleure coupe que les siens, et personne n’en avait plus que lui. Ses hommes l’adoraient. Aucun autre officier, même le colonel, le vieil Heavytop, ne pouvait boire plus que lui. Il boutonnait au fleuret Knuckles, le prévôt d’armes, qui serait passé caporal sans son état perpétuel d’ivresse, et qui avait obtenu son diplôme dans un assaut. Il excellait comme joueur aux boules et aux quilles. Sur son cheval, l’Éclair, il avait gagné le prix offert par la garnison aux courses de Québec, et Amélia n’était pas seule à l’admirer. Stubbles et Spooney, du régiment, le tenaient pour un Apollon. Dobbin voyait en lui un successeur de Lovelace, et la femme du major O’Dowd déclarait qu’il était très-beau garçon et qu’il lui rappelait Fitz Jurl Fogarty, second fils de lord Castle Fogarty.

Toutes ces personnes, chacune de son côté, se livraient aux conjectures les plus romanesques à propos de la correspondance d’Osborne. Selon les uns, c’était une duchesse de Londres amourachée de lui ; selon les autres, la fille d’un général qui, ne pouvant se dégager d’autres liens, l’aimait au moins d’un amour éperdu ; d’autres parlaient de la femme d’un membre du parlement qui lui aurait offert quatre chevaux pour l’enlever ; chacun enfin à sa guise y voyait une victime de quelque passion enivrante, romanesque et scandaleuse. Osborne refu-