Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/161

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gens du grand monde, et regardez un peu cette bourse, monsieur. »

Et il lui tendit une bourse de filet, présent d’Amélia, où se trouvait le restant de la somme avancée par Dobbin.

« Vous ne manquerez de rien, monsieur. Le fils d’un marchand anglais ne doit manquer de rien. Mes guinées valent bien celles des autres, George, mon garçon, et Dieu seul sait si je vous les refuse. Allez chez M. Chopper demain, en passant par la Cité ; il tient quelque chose à votre disposition. Je ne vous refuserai jamais mon argent tant que je serai sûr que vous fréquenterez la bonne société. C’est que, voyez-vous, il y a toujours quelque chose à gagner dans la bonne société. Je n’ai pas d’orgueil pour moi ; ma naissance est des plus humbles ; mais les avantages seront pour vous. Tâchez d’en profiter : fréquentez notre jeune noblesse. Elle en compte plus d’un, mon garçon, qui n’a pas à dépenser un dollar contre vous une guinée, et pour ce qui est des cotillons… (ici les sourcils du vieillard prirent un air qui en disait plus long qu’il n’en savait) il faut que jeunesse se passe. Seulement il y a une chose que je vous défends expressément ; autrement, vous n’obtiendrez plus un shilling de moi : c’est le jeu, monsieur.

— Cela va sans dire, monsieur.

— Maintenant, revenons à cette petite Amélia. Croyez-vous donc que vous n’avez pas mieux à prétendre qu’à la fille d’un agent de change ? George, je veux savoir votre pensée là-dessus.

— Mon Dieu ! monsieur, dit George en cassant des noix, c’est un arrangement de famille ; ce mariage est conclu depuis un siècle entre vous et M. Sedley.

— C’est la vérité ; mais les positions changent, monsieur. J’avoue que Sedley m’a aidé à faire ma fortune, ou plutôt m’a mis en passe de la gagner par mes talents, mon génie et la brillante position que j’ai acquise, je puis le dire, dans le commerce des suifs et dans la cité de Londres. J’en ai déjà témoigné ma reconnaissance à Sedley, et il en a éprouvé les effets, comme le marque mon livre de caisse. George, je vous le dis en confidence, la tournure des affaires de M. Sedley ne me plaît point. Mon premier commis, M. Chopper, ne l’aime pas non plus, et c’est un vieux routier qui connaît la banque aussi bien qu’homme de Londres. Hulker et Bullock lui battent froid.