Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/166

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« C’est pitié de vous voir dans cet état, miss Briggs, dit la jeune dame d’un air froid et légèrement moqueur.

— Ma bonne amie est si malade, et ne veut… eu… eu… pas me voir, sanglota miss Briggs dans un nouvel accès de douleur.

— Cela ne va plus si mal ; consolez-vous, chère miss Briggs, elle a un peu trop mangé ; voilà tout. Elle se sent beaucoup mieux ; elle sera dans peu complétement remise. Les ventouses et le traitement médical l’ont bien affaiblie ; mais dans peu elle aura repris ses forces. Je vous en prie, consolez-vous et prenez encore un verre de vin.

— Mais pourquoi ne veut-elle plus me voir ? disait miss Briggs en gémissant. Oh ! Mathilde ! après vingt-quatre ans d’affection la plus tendre, est-ce là le sort que vous réserviez à votre pauvre Arabelle ?

— Ne vous lamentez pas tant, pauvre Arabelle ! reprit l’autre avec un sourire imperceptible ; elle ne veut point vous voir parce qu’elle dit que vous ne la soignez pas aussi bien que moi. Allez ! je n’ai pas grand plaisir à rester sur pied toute ma nuit ; je vous céderais volontiers la place.

— N’ai-je pas pris soin de cette chère créature pendant longues années ? reprit Arabelle ; et maintenant…

— Maintenant elle en préfère une autre. Eh bien ! les malades ont des lubies ; il faut subir leurs caprices. Quand elle ira bien, je partirai.

— Jamais ! jamais ! s’écria Arabelle en fourrant la moitié de son nez dans son flacon de sels.

— Que voulez-vous dire, miss Briggs ? qu’elle n’ira jamais bien, ou que je ne partirai jamais ? reprit l’autre avec le même entrain. Peuh ! elle sera au mieux dans une quinzaine, et alors j’irai retrouver mes petits élèves à Crawley-la-Reine, et leur mère qui est bien plus malade que notre amie. Il ne faut pas être jalouse de moi, ma chère miss Briggs ; je suis une pauvre petite fille sans amis et bien inoffensive. Je ne prétends point vous supplanter dans les bonnes grâces de miss Crawley. Une semaine après mon départ, elle ne pensera plus à moi, tandis que son affection pour vous est l’ouvrage de bien des années. Donnez-moi un peu de vin, ma chère Briggs, et soyons amies ; car, je vous l’assure, j’ai bien besoin d’avoir des amis. »

La pauvre Briggs, au cœur tendre et sans fiel, répondit à