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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/172

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et aveugles créatures. S’il arrive quelque accident à lady Crawley, voulez-vous savoir ce qui en résultera ? Miss Sharp deviendra votre belle-mère. »

À cette annonce, le chevalier Rawdon Crawley, pour témoigner de sa surprise, souffla comme un cachalot. Il n’avait pas à dire non : l’inclination peu dissimulée de son père pour miss Sharp ne lui avait point échappé. Il connaissait fort bien le tempérament du vieux baronnet : c’était un homme fort peu en peine des délicatesses de conscience. Sans demander une plus longue explication, il entra au logis en tordant sa moustache, et bien convaincu qu’il tenait enfin le secret de la diplomatie de mistress Bute.

« En vérité, c’est très-mal, c’est très-mal, en vérité, pensa Rawdon ; cette pauvre femme ne cherche qu’à jeter le discrédit sur la pauvre enfant, pour l’empêcher d’entrer dans la famille et de devenir lady Crawley. »

Quand il fut seul avec Rebecca, il la plaisanta avec son bon goût ordinaire sur les inclinations du baronnet pour elle. Celle-ci redressa la tête avec un air de suprême dédain, le regarda en face et lui dit :

« Eh bien ! supposons qu’il soit fou de moi. Je le connais pour ce qu’il vaut, lui et bien d’autres de son espèce. Vous ne pensez pas au moins qu’il me fasse peur, capitaine Crawley. Vous n’avez pas dans la tête que je sois incapable de défendre mon honneur, dit cette petite femme avec un regard de reine.

— Oh !… ah !… hé !… vous êtes avertie… vous savez… et puis voilà… balbutia le tortilleur de moustaches.

— Croiriez-vous donc à quelque honteuse intrigue ? reprit-elle avec un accent d’indignation.

— Oh !… dieux !… en vérité… miss Rebecca, fit entendre le dragon à la langue pâteuse.

— Vous ne me supposez donc pas le sentiment de ma dignité personnelle, parce que je suis pauvre et sans amis, et que les gens riches eux-mêmes en manquent souvent ? Toute gouvernante que je suis, il ne faut pas croire que j’aie moins de jugement, de délicatesse, que je sois de moins bonne race que tous vos hobereaux de l’Hampshire ? Je suis une Montmorency, pensez-y bien. Une Montmorency ne vaut-elle pas une Crawley ? »

Lorsque miss Sharp, dans les grandes circonstances, faisait