Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/176

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dit miss Crawley pendant la route, après cette courte entrevue. Ma chère Sharp, votre jeune amie est charmante. Faites-la venir à Park-Lane, entendez-vous ? »

Miss Crawley avait bon goût, comme on voit : du naturel dans les manières, joint à un peu de timidité, avait le don de la charmer. Elle aimait les jolis minois, mais comme on aime à s’entourer de beaux tableaux et de belle porcelaine. Ce jour-là, à diverses reprises, elle parla avec enthousiasme d’Amélia ; elle en entretint son neveu Rawdon, qui vint religieusement partager, à dîner, le poulet de sa tante.

Rebecca s’empressa aussitôt d’ajouter qu’Amélia allait sous peu se marier au lieutenant Osborne ; que c’était une ancienne passion.

« Il appartient à un régiment de ligne ? » demanda le capitaine Crawley ; puis, après un petit effort de mémoire, il se souvint, ainsi qu’il convenait à un homme au service, qu’il devait être sur les cadres du *** régiment.

Rebecca crut se rappeler que c’était en effet le numéro du régiment.

« Le capitaine, ajouta-t-elle, s’appelle le capitaine Dobbin.

— Une grande perche toute dégingandée, reprit Crawley, et qui s’en va de droite et de gauche ; ah ! je le connais bien. Osborne est un beau jeune homme avec d’épaisses moustaches noires.

— Colossales ! reprit Rebecca Sharp. Elles lui donnent de la fierté, je vous assure, à raison de leur dimension. »

Le capitaine Rawdon Crawley fit alors entendre un gros rire ; et les dames le pressant de s’expliquer, il se disposa à les satisfaire dès que son accès d’hilarité fut passé.

« Il s’imagine, dit-il, savoir jouer au billard. Je lui ai gagné deux cents livres sterling, au Cocotier. C’est qu’il a encore des prétentions, ce jeune imprudent. Il aurait joué sa chemise ce jour-là, sans son ami le capitaine Dobbin, qui l’a emmené de force ; que la peste l’étrangle !

— Rawdon, Rawdon, ne vous faites pas plus noir que vous n’êtes, reprit miss Crawley, fort réjouie de cette histoire.

— C’est que, voyez-vous, madame, ce garçon est jobard comme il n’y en a pas. Tarquin et Deuceace lui soutirent tout l’argent qu’ils veulent. Il irait au diable pour se faire voir avec