Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/180

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— Au moins dans certaines familles, continua Rebecca ; mais on n’en agit point ainsi dans la maison où je suis maintenant. L’or n’est pas si commun dans l’Hampshire que chez vous autres richards de la Cité ; mais là, au moins, j’y ai rencontré une bonne famille de la vieille noblesse anglaise. Le père de sir Pitt, vous le savez sans doute, a refusé la pairie. Voyez pourtant comme on m’y traite ; je suis on ne peut mieux. C’est en somme une excellente place. Mais c’est trop de bonté à vous de vous arrêter à ces détails. »

Osborne écumait. La petite gouvernante prenait un ton de supériorité et de persiflage qui mettait notre jeune lion sur les épines, et le sang-froid lui manquait pour couper court à cette piquante conversation.

« Vous n’avez pas, il me semble, toujours dédaigné de la sorte les familles de la Cité, reprit-il d’un ton hautain.

— Vous parlez de l’année dernière, quand je sentais encore derrière moi cette affreuse pension ? Oh ! alors vous avez raison. À tout prix, les jeunes pensionnaires veulent passer leurs jours de congé hors des murs de leur cachot. Mais voyez un peu, monsieur Osborne, comme dix-huit mois d’expérience nous changent ! dix-huit mois, remarquez-le bien, passés avec des personnes de bon ton et de noble race. Quant à cette bonne Amélia, c’est une perle, j’en tombe d’accord avec vous, et on aura toujours du plaisir à la revoir. Allons, vous voilà tout en belle humeur ; c’est qu’en effet ces bizarres habitants de la Cité !… Et M. Joe, comment va-t-il, l’étonnant M. Joseph ?

— Mais il me semble que l’année dernière il ne vous déplaisait pas trop, cet étonnant M. Joseph, dit Osborne avec un air de bonhomie.

— Ah ! c’est méchant ! Eh bien ! entre nous, mon amour pour lui ne m’a pas fait maigrir. Cependant, s’il m’eût demandé ce que vous avez l’air d’insinuer par vos regards fort charitables et fort significatifs, je n’aurais pas dit non, je l’avoue. »

Osborne arrêta sur elle un regard qui semblait dire : « En vérité, vous êtes bien bonne. »

« Ah ! c’eût été un grand honneur pour moi de vous avoir pour beau-frère, n’est-ce pas ? Moi, devenir la belle-sœur de George Osborne esquire, fils de John Osborne esquire, fils de… Quel était votre grand-papa, monsieur Osborne ? Voyons, ne vous fâchez pas. Ce n’est pas votre faute si vous avez un