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LA FOIRE AUX VANITÉS

bras comme en signe d’adieu et pour donner à miss Sharp l’occasion de serrer un des doigts de sa main, qui resta en route dans ce dessein.

Miss Sharp retira la main avec un sourire glacial et une profonde révérence, et refusa l’honneur qu’on voulait lui faire. À ce mouvement, le turban de la Sémiramis éprouva une secousse d’indignation telle qu’il n’en ressentit jamais de pareille. Dans le fait, c’était une petite lutte entre la jeune personne et la vieille matrone, et celle-ci avait le dessous.

« Le ciel vous bénisse, mon enfant ! dit-elle en embrassant Amélia et en lançant un regard flamboyant à miss Sharp par-dessus l’épaule de la jeune fille.

— Sortez vite, Becky, » dit miss Jemima tout en émoi à la jeune personne, en la poussant hors du salon.

Et la porte se referma sur elle pour toujours.

Dans la cour commencèrent les scènes déchirantes du départ ; les mots nous manquent pour une telle peinture. Tous les domestiques étaient réunis, toutes les bonnes amies, toutes les jeunes pensionnaires, et jusqu’au maître de danse qui venait d’arriver. Ce n’étaient que plaintes, embrassades, larmes et lamentations, sans oublier les crises nerveuses de miss Swartz, l’élève en chambre, qui, de sa fenêtre se livrait à des transports que la plume désespère de retracer ; un cœur sensible saura gré qu’on lui fasse grâce de ces détails.

Les adieux sont finis, et nos voyageurs, ou plutôt miss Sedley a quitté ses amies ; car, pour miss Sharp, elle était entrée sans bruit dans la voiture, et personne ne gémissait de la perdre.

Sambo ferma la portière sur sa jeune maîtresse en larmes, et grimpa derrière la voiture.

« Arrêtez ! cria miss Jemima s’élançant vers la grille avec un paquet. Voici des sandwichs, ma chère, dit-elle à Amélia ; vous pourriez avoir faim ; et vous, Becky, Becky Sharp, voici un livre pour vous que ma sœur… c’est-à-dire que je… c’est ce dictionnaire de Johnson, vous savez bien ; vous ne pouvez nous quitter sans cela. Bon voyage ! En route, cocher. Dieu vous bénisse ! »

Cette excellente créature rentra dans le jardin, vaincue par ses émotions ; mais, au moment où le cocher fouettait les chevaux, miss Sharp montrait sa pâle figure à la portière et lançait le livre dans le jardin.