Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/282

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arriver à notre aide : le premier choc sera pour nous, monsieur, et comptez que Bonaparte s’arrangera pour qu’il soit le plus rude possible.

— Où voulez-vous en venir, Dobbin, dit son interlocuteur, mal à l’aise et fronçant le sourcil. Ce ne sont pas ces damnés Français, j’imagine, qui pourraient faire trembler un soldat des armées britanniques, monsieur ?

— Certainement non, monsieur ; mais j’ai seulement voulu vous dire qu’en présence des périls nombreux et inévitables qui nous menacent, vous feriez bien, monsieur, de passer l’éponge sur les petites fâcheries qui peuvent exister entre vous et George, et de vous donner la main, vous m’entendez ? S’il lui arrivait quelque chose, ce serait pour vous, j’en suis sûr, un sujet d’éternel regret de ne vous être pas quittés bons amis. »

En disant cela, le pauvre William Dobbin passait par les différentes nuances du rouge pour arriver au violet. Il faisait intérieurement son meâ culpâ de toute cette malheureuse affaire ; car, sans lui peut-être, ce déchirement domestique n’aurait jamais eu lieu. Pourquoi avoir tant pressé le mariage de George ? Ne pouvait-il pas attendre quelque temps ? Amélia, délaissée par son fiancé, en eût conçu sans doute une douleur mortelle ; mais le temps, ce grand médecin, aurait peut-être fini par guérir les chagrins d’Amélia. Il fallait donc s’en prendre à lui de ce mariage, de ses fâcheuses conséquences. Quel mobile l’avait poussé à toutes ces démarches ? Ah ! c’est qu’il l’aimait tant, qu’il ne pouvait souffrir de la voir malheureuse. Peut-être aussi les tortures de l’incertitude étaient-elles si cuisantes à son âme qu’il avait hâte de les étouffer. C’est ainsi qu’après un décès, on se dépêche d’en finir avec les funérailles ou l’on devance le moment du départ lorsqu’on doit quitter ceux qu’on aime.

« Vous êtes un brave garçon, William, dit M. Osborne d’une voix radoucie. George et moi nous ne pouvons nous quitter fâchés, c’est impossible. Voyez-vous, dans ma tendresse pour lui j’ai fait tout ce qui est au pouvoir d’un père. Il a eu de moi trois fois plus d’argent que votre père, j’en suis sûr, ne vous en a jamais donné. Ce n’est pas pour le lui reprocher si j’en parle, mais je ne saurais vous dire toutes les préoccupations dont il a été sans cesse l’objet de ma part ; tout ce que j’ai dépensé pour