Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/284

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— Qu’est-ce à dire, monsieur, de quels engagements venez-vous nous parler ? continua M. Osborne, dont la colère et la surprise, s’éveillant à cette pensée subite, firent pressentir les plus terribles éclats. Vous ne voulez pas dire, j’imagine, que mon fils est assez misérablement fou pour se sentir encore épris de la fille d’un escroc et d’un banqueroutier ? Vous n’êtes pas venu, ici, je suppose, pour me faire entrevoir son intention de l’épouser. L’épouser ? une belle fin qu’il ferait là. Mon fils, mon sang s’allier à la fille d’un gueux, d’un mendiant ! Il peut bien aller au diable, si jamais il lui prend fantaisie pareille. Je lui conseille alors d’acheter un balai et de se faire boueux. Oh ! je me la rappelle bien, toujours autour de lui, avec ses agaceries et ses œillades. C’était un manége combiné, j’en suis sûr, avec son vieux coquin de père.

— M. Sedley a été un de vos bons amis, fit Dobbin, l’arrêtant tout court et charmé de trouver un prétexte pour se mettre en colère. Il fut un temps où vous saviez lui donner d’autres noms que ceux d’escroc et de coquin. Qui plus que vous, d’ailleurs, a travaillé à cette alliance ? George n’a pas le droit de jouer ainsi à pile ou face avec…

— Pile ou face ! pile ou face ! hurla le vieil Osborne. Ah çà ! le diable m’emporte, ce sont les mêmes mots que mon gentilhomme de fils m’a jetés à la figure, il y a eu jeudi quinze jours, quand il faisait son rodomont, qu’il me menaçait de l’armée britannique et voulait en remontrer à son père. C’est donc vous qui l’avez poussé à cette rébellion ? Je le vois maintenant, capitaine, et vous en remercie ; mais apprenez que je n’ai que faire de mendiants dans ma famille. Grand merci encore une fois, capitaine ! Épouser cette fille, et pourquoi donc, s’il vous plaît ? Croyez-vous donc qu’il ne puisse avoir ses faveurs à meilleur marché ?

— Monsieur, dit Dobbin rouge de colère et mettant de côté tout ménagement, je ne permettrai à personne de tenir de pareils propos en ma présence, et à vous encore moins qu’à tout autre.

— C’est donc, maintenant un cartel ? Alors je vais sonner pour qu’on nous apporte des pistolets pour deux. M. George vous a envoyé ici pour insulter son père, sans doute, dit Osborne en sautant sur le cordon de la sonnette.

— M. Osborne, dit Dobbin d’une voix étouffée, c’est vous