Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours de triomphe, Amélia, se laissant tromper à l’écorce grossière du capitaine, faisait assez bon marché de l’honnête William. Le pauvre garçon savait parfaitement à quoi s’en tenir, et se soumettait sans murmure à son sort. Un temps devait venir où, connaissant mieux Dobbin, elle changerait de sentiments à son égard. Mais ce temps était encore bien éloigné.

Le capitaine Dobbin avait à peine passé deux heures avec ces dames, que Rebecca était déjà maîtresse de son secret. Elle éprouvait pour lui un sentiment de répulsion instinctive, de défiance secrète, et, de son côté, Dobbin n’avait pas conçu pour elle de grandes sympathies. Il était trop honnête pour se laisser prendre aux artifices et aux cajoleries de l’enchanteresse, et il ne lui restait plus alors à son endroit qu’une aversion bien marquée. Rebecca, supérieure à toutes les autres faiblesses de son sexe, n’avait pas su s’affranchir de ces inspirations jalouses qui sont un élément de la nature féminine, et elle en voulait beaucoup au capitaine de ses préférences pour Amélia. Mais, malgré ses froissements intérieurs, elle affectait envers lui des manières pleines d’égard et de cordialité. Un ami des Osborne, de ses chers bienfaiteurs ! Elle parlait bien haut de sa vive affection pour lui, et rappelait tous les détails de la nuit du Wauxhall, quitte à en faire des gorges chaudes tout en s’habillant avec son amie pour le dîner. Rawdon Crawley daignait à peine faire attention à Dobbin ; c’était pour lui un gros bêta, bonne pâte d’homme au demeurant, mais dont l’ébauche était restée inachevée. Jos prenait avec lui des airs majestueux et protecteurs.

Lorsque George et Dobbin se trouvèrent seuls dans la chambre de ce dernier, Dobbin tira de son nécessaire la lettre que M. Osborne lui avait fait remettre pour son fils.

« Ce n’est pas là l’écriture de mon père, » s’écria George tout alarmé.

Il ne disait que trop vrai. La lettre était de l’homme d’affaires de M. Osborne. En voici le contenu :

« Bedford-Row, 7 mai 1815.
« Monsieur,

« Je suis chargé par M. Osborne de vous informer qu’il reste inébranlable dans ses résolutions antérieures. Aussi, par suite du mariage que vous venez de contracter, il cesse de vous