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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/339

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dernier moment, avait jeté la consternation dans l’âme de M. Joe Sedley, et il s’en fallut de bien peu qu’il ne laissât le convoi partir tout seul. Mais les railleries du capitaine Dobbin triomphèrent de ses hésitations. Ses moustaches avaient d’ailleurs atteint toute leur croissance ; ce dernier motif acheva ce qu’avait commencé l’éloquence de Dobbin, et Joe s’embarqua.

Dobbin, pour récompenser Joe d’avoir obtempéré à sa demande, se mit en quête d’un domestique et lui amena un petit Belge olivâtre qui ne parlait aucun idiome connu, mais qui, par son air affairé et sa ponctualité à n’appeler M. Sedley que milord, se concilia promptement les bonnes grâces de notre ami.

Ostende a bien changé de physionomie sous le rapport des Anglais qu’on y voit maintenant : les grands seigneurs y sont fort rares, et ceux qu’on y rencontre ne trahissent guère une origine aristocratique. La plupart du temps, ce sont des gens mal vêtus, en linge sale, qui sentent l’eau-de-vie et le tabac, et vont jouer aux cartes ou pousser les billes dans des estaminets enfumés.

Un ordre du duc de Wellington obligeait alors chacun dans l’armée à payer rigoureusement sa dépense. Pour un peuple de marchands, c’est un de ces souvenirs qui ne saurait s’effacer de la mémoire. Être envahi par une armée de pratiques qui payent bien, avoir à nourrir des héros parfaitement solvables, que peut désirer de plus un pays industriel ?

La Belgique n’est pas du reste, par elle-même, fort belliqueuse, car son histoire atteste, depuis des siècles, qu’elle se contente de fournir un champ de bataille aux autres nations.

Ce riche et florissant royaume présentait aux premiers jours de l’été de 1815, un air de bien-être et d’opulence qui rappelait les plus beaux temps de son passé. Ses vastes campagnes et ses paisibles cités s’animaient de la présence de nos beaux uniformes rouges ; ses magnifiques promenades étaient sillonnées en tout sens par de fringants équipages, par de brillantes cavalcades ; ses rivières côtoyant de riches pâturages, d’antiques et pittoresques hameaux, de vieux châteaux cachés sous d’épais ombrages, promenaient doucement sur leurs ondes la foule indolente des touristes anglais ; le soldat buvait à l’auberge du village et, chose plus rare, payait libéralement sa dépense ; le