Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/341

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« Que le Corse vienne donc nous attaquer ! s’écriait-il ; Emmy ! ma chère âme, si je tremble, ce n’est que pour lui. Dans deux mois, morbleu ! les alliés seront à Paris, et je vous payerai à dîner au Palais-Royal. Trois cent mille Russes, entendez-vous ? vont entrer en France par Mayence et le Rhin ; trois cent mille, ma chère sœur, sous les ordres de Wittgenstein et de Barclay de Tolly. Vous n’êtes pas au fait de la stratégie militaire, chère petite ; mais en homme qui m’y connais, je puis vous dire qu’il n’y a pas d’infanterie en France capable de tenir tête à l’infanterie russe. Le Corse a-t-il un général en état de moucher la chandelle à Wittgenstein ? Viennent ensuite les Autrichiens, au nombre de cinq cent mille, aussi vrai que me voilà. Avant dix jours, vous les verrez à la frontière de France, sous les ordres de Schwartzemberg et du prince Charles. Et puis les Prussiens, les Prussiens, entendez-vous ? commandés par le brave général Blücher. Maintenant que Murat n’y est plus, trouvez-moi un général de cavalerie à comparer à celui-là. N’est-ce pas, mistress O’Dowd, que votre jeune amie aurait tort de se tourmenter ? Allons, Isidore, ne tremblez pas ainsi ; vite, monsieur, versez-moi de la bière. »

Mistress O’Dowd, pour toute réponse, insista sur le courage de Glorvina. C’était une femme à ne pas reculer devant homme qui vive, et encore moins devant un Français. Après cet éloge, elle avala un verre de bière, et, par une grimace de satisfaction, témoigna de ses sympathies pour ce genre de liquide.

De fréquentes escarmouches avec l’ennemi, c’est-à-dire avec le beau sexe de Cheltenham et de Bath, avaient fini par ôter beaucoup à l’ancienne timidité de notre ami, l’ex-receveur de Boggley-Vollah. Dans cette circonstance, enhardi par les fumées pétillantes de la bière, il se sentait plus que jamais des dispositions à la faconde. Au régiment, on était enchanté de lui ; les jeunes officiers lui savaient gré des splendides festins qu’il leur offrait et des occasions de rire qu’il leur procurait par ses allures martiales. Dans l’armée, les régiments adoptent tous, plus ou moins, un animal favori qui les suit dans leurs pérégrinations. George, par allusion à son beau-frère, disait que son régiment avait choisi un éléphant.

George commençait à rougir un peu de la société à laquelle il s’était vu forcé de présenter sa femme, et faisait part à Dobbin, à la grande satisfaction de ce dernier, de ses intentions