Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rebecca, comme nous l’avons dit, avait sagement résolu de ne point se livrer à propos de cette séparation aux écarts d’une sensiblerie stérile et superflue. De la croisée elle lui fit un dernier signe d’adieu, puis resta quelques minutes à jouir de la fraîcheur du matin. Les tours de la cathédrale et les toits bizarres des vieilles maisons de la ville commençaient à s’illuminer aux premiers feux du soleil. Elle n’avait encore pris aucun repos de toute la nuit. Sa toilette de bal qu’elle portait encore, ses belles boucles défrisées, descendant sur son cou, un cercle d’azur autour de ses yeux accusaient assez une nuit sans sommeil.

« Je suis laide à faire peur, dit-elle en se regardant à la glace, ce rose me fait paraître pâle. »

Elle délaça aussitôt sa robe rose. Un billet tomba du corsage ; elle le ramassa en souriant et le ferma dans le tiroir de son meuble de toilette. Puis, après avoir mis son bouquet de bal dans un verre rempli d’eau, elle se jeta sur son lit et s’endormit du meilleur somme.

Un calme profond planait sur la ville lorsque mistress Crawley s’éveilla vers les dix heures du matin ; elle prit son café avec un grand plaisir, ce qui l’aida beaucoup à se remettre de la fatigue de la nuit et des émotions de la matinée.

Son repas terminé, elle reprit les calculs que l’honnête Rawdon lui avait faits la nuit précédente, et récapitula sa situation. Somme toute, et en mettant les choses au plus mal, sa position n’était pas encore si désespérée qu’elle aurait pu le craindre. Aux objets laissés par son mari venaient s’ajouter ses bijoux et son propre trousseau, et la générosité de Rawdon, à l’époque de son mariage, a déjà reçu dans cette histoire les éloges qu’elle méritait. Outre la jument ci-dessus mentionnée, le général, son intrépide admirateur, lui avait fait de magnifiques présents, comme châles de cachemire achetés au rabais à une vente après banqueroute et autres articles provenant de la boutique des joailliers, et témoignant à la fois du goût et de la fortune du donateur.

Quant aux toquantes, suivant l’expression du pauvre Rawdon, leurs tics tacs se répondaient de toutes les pièces de l’appartement. Un soir, Rebecca s’étant plainte à Rawdon de celle qu’il lui avait donnée comme ayant le double défaut d’aller mal et de sortir d’une fabrique anglaise, le lendemain elle recevait un