Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/377

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d’Osborne faire les préparatifs du départ de son maître. Il en voulait d’abord beaucoup à M. Osborne pour ses airs méprisants avec lui ; les domestiques du continent sont en général d’une nature peu endurante. En second lieu, il était tout contristé de voir tant d’objets de prix soustraits à sa convoitise pour passer en des mains autres que les siennes après la déroute des Anglais. La défaite des alliés paraissait inévitable à la plupart de ceux qui se trouvaient alors en Belgique. L’opinion générale était que l’empereur, passant sur le ventre des Prussiens et des Anglais, serait dans trois jours à Bruxelles. En conséquence, M. Isidore s’attribuait déjà en esprit toute la garde-robe et tous les meubles de ses maîtres actuels auxquels il ne restait qu’à choisir entre être pris, tués, ou mis en fuite.

Au milieu des soins que ce fidèle serviteur donnait chaque matin à Jos pour la confection de sa toilette, il calculait, à mesure que chaque objet lui passait dans les mains, le parti qu’il en pourrait tirer pour son usage ou son avantage personnel. Il destinait les flacons en argent et autres objets de même nature à une jeune personne, pour laquelle il nourrissait de très-tendres sentiments. Il s’adjugeait les rasoirs anglais avec une superbe épingle montée en rubis. Il se voyait déjà se prélassant avec les chemises à jabots, le chapeau galonné d’or, la redingote à brandebourgs, qu’on pourrait facilement rajuster à sa taille, la canne à pomme d’or du capitaine, sa grosse bague à double rangée de rubis, dont on lui ferait deux superbes boucles d’oreille ; comment Mlle  Reine pourrait-elle alors résister aux charmes fascinateurs de ce nouvel Adonis ?

« Ces doubles boutons m’iront à merveille, pensait-il en fixant ses regards sur les susdits boutons qui scintillaient aux énormes poignets de son maître. Avec ces boutons, je mettrai les bottes à éperons de cuivre que le capitaine a laissées dans la chambre à côté, et alors, corbleu ! comme on va me regarder passer dans l’allée Verte ! »

Tandis que M. Isidore, saisissant d’une main hardie l’extrémité du nez de son maître, lui rasait la partie inférieure de la figure, il se voyait déjà en imagination s’avançant majestueusement dans l’allée Verte, Mlle  Reine au bras et l’habit à brandebourgs sur le dos, ou bien encore, en face d’une cruche de faro, dans le cabaret qui se trouve sur la route de Lacken.

Mais, heureusement pour son repos, M. Jos Sedley n’avait