est le triste lot des femmes dans la guerre. Car la guerre lève son tribut sur les deux sexes : aux hommes elle demande leur sang, aux femmes elle prend leurs larmes.
Vers les deux heures et demie vint se placer un événement d’une haute importance pour M. Joseph ; il s’agissait de dîner. La mort pouvait à quelques lieues de là faire sa terrible moisson, pour lui il n’en perdait pas un coup de dent. Il se rendit lui-même auprès d’Amélia, espérant la décider à prendre quelque nourriture, il eut recours dans ce but à toute son éloquence culinaire.
« Venez, dit-il, venez, la soupe est excellente. Allons Emmy, du courage, que diable ! »
Et il lui baisa la main.
Depuis bien des années, si l’on excepte le jour du mariage, il ne lui avait fait pareille tendresse.
« Vous êtes bien bon, Joseph, lui dit-elle ; tout le monde est bien bon pour moi, je vous en ai beaucoup de gré, mais je désire ne pas quitter ma chambre de la journée. »
Le fumet de la soupe produisit toutefois un si agréable chatouillement sur les nerfs olfactifs de mistress O’Dowd, qu’elle s’offrit pour tenir compagnie à M. Jos. Tous deux allèrent se mettre à table.
« Grâces à Dieu, pour nous avoir donné cet excellent bouillon, » dit avec solennité la femme du major.
Elle pensait à son digne époux, chevauchant alors à la tête de ses braves.
« Ils feront un bien mauvais dîner aujourd’hui, ces pauvres enfants, ajouta-t-elle avec un soupir ; puis elle avala le contenu de son assiette avec une résignation très-philosophique.
Le courage de Jos grandissait en proportion des morceaux qu’il mangeait : à la fin du dîner, pour boire, disait-il, à la santé du régiment, il se fit apporter un verre de champagne.
« Allons, mistress O’Dowd, fit-il avec un aimable salut à sa convive ; vous, Isidore, remplissez le verre de la major ; et buvons à la santé de ce bon O’Dowd et du brave *** »
Tout à coup Isidore tressaillit, la femme du major laissa tomber son couteau et sa fourchette, et, à travers les fenêtres toutes grandes ouvertes, on put distinguer dans le lointain un roulement sourd et continu.