Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/401

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retard pour examiner les chevaux ; puis il dit à son valet de les seller sur-le-champ. Il voulait partir le soir même, à la minute. Il laissa à son valet le soin de préparer les montures, et lui-même se dirigea vers sa demeure pour y prendre ses dernières dispositions. Il voulait s’entourer du plus grand mystère, ne se sentant pas le courage de se présenter devant mistress O’Dowd et Amélia et de leur révéler ses projets de fuite.

Tandis que Joe achevait son marché avec Rebecca et faisait sa visite à l’écurie, l’horizon commençait à s’éclairer des premières lumières du jour. Cette nuit s’était passée sans repos pour la cité ; tout le monde était resté sur pied, toutes les fenêtres avaient de la lumière, à toutes les portes il se formait des groupes, et une agitation inquiète régnait dans toutes les rues. Les bruits les plus contradictoires circulaient de bouche en bouche. L’un annonçait la défaite complète des Prussiens, un autre la déroute des Anglais après une lutte acharnée, un troisième affirmait au contraire qu’ils étaient maîtres du champ de bataille. Peu à peu, ce dernier bruit finit par prendre une certaine consistance. En effet, les Français ne paraissaient point. Quelques traînards apportèrent de l’armée des nouvelles plus favorables. Enfin, un aide de camp arriva avec des dépêches pour le commandant de la place, et l’on put lire bientôt sur les murs de la ville l’annonce officielle du succès des alliés aux Quatre-Bras. La colonne, commandée par le maréchal Ney, avait battu en retraite après un combat de six heures.

Il faut placer l’arrivée de l’aide de camp à peu près vers le temps où Joe achevait son marché avec Rebecca et allait examiner son acquisition.

Joe trouva, en rentrant, sur la porte de l’hôtel, une vingtaine de personnes occupées à commenter les dernières nouvelles, auxquelles on ajoutait une foi complète. Il monta aussitôt pour les communiquer aux deux femmes placées sous sa garde. Il pensa qu’il était inutile de les informer de ses projets de retraite, de son marché, et de l’argent qu’il lui en coûtait.

Le succès ou la défaite préoccupait moins ces deux femmes que le sort de ceux qui leur étaient chers. À la nouvelle de la victoire, Amélia se sentit prise d’une inquiétude plus vive encore que par le passé. Elle voulait rejoindre l’armée, et tout