Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/59

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tits et grands, tous étaient après lui. Ils s’amusaient à coudre ses culottes pour les faire encore plus étroites qu’elles n’étaient. Ils coupaient les sangles de son lit. Ils renversaient les tables et les bancs de manière à lui faire rompre les jambes, ce qui ne manquait jamais. Ils lui envoyaient des paquets renfermant du savon et des chandelles de chez son père. Le moindre petit drôle avait une farce et une plaisanterie à l’adresse de Dobbin. Il supportait tout avec une résignation muette et digne de pitié.

Cuff, au contraire, était le meneur de la maison Swishtail et y donnait le ton. Il y introduisait du vin en fraude, rossait les externes et faisait venir son cheval à la porte de la pension pour s’en retourner chez lui le samedi. Il avait apporté dans sa chambre ses bottes à hautes tiges, avec lesquelles il allait à la chasse les jours de congé. Il avait une montre d’or à répétition et il prenait du tabac comme le docteur. C’était un des habitués de l’Opéra, et il connaissait le fort et le faible de chaque acteur : il préférait Kean à Kemble. Il pouvait vous mettre sur leurs pieds quarante vers latins à l’heure, et n’était pas étranger à la poésie française. Que ne savait-il pas ? Que ne pouvait-il faire ? Le docteur lui-même, disait-on, tremblait devant sa supériorité.

Cuff était donc le souverain reconnu par ses camarades ; il les gouvernait et les écrasait de son importance, sans que l’on songeât le moins du monde à contester ses droits. L’un cirait ses souliers, l’autre faisait griller son pain, d’autres étaient chargés de ses commissions ou lui apportaient la balle au jeu de paume, dans les grandes chaleurs de l’été. Dobbin était celui qu’il méprisait le plus. Bien que toujours prêt à le bousculer et à rire de lui, il daignait rarement lui adresser la parole.

Un jour il y eut maille à partir entre ces deux jeunes gens. Dobbin se trouvait seul dans la classe à griffonner un message pour la maison paternelle ; Cuff survient et lui enjoint de lui faire une commission dont l’objet était probablement quelque tarte aux cerises.

« Je ne puis, dit Dobbin, il faut que je finisse ma lettre.

Vous ne pouvez pas, dit maître Cuff, faisant mine de vouloir s’emparer de la pièce d’écriture, dont beaucoup de mots étaient grattés, beaucoup d’autres mal écrits, et qui avait cependant coûté à Dobbin je ne sais combien de réflexions, de travail et de larmes ; car le pauvre garçon écrivait à sa mère,