Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/63

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Bien mieux, quand l’heure du combat fut venue, il avait presque honte de lui dire : « Allons, Figs, à l’œuvre. » Pendant les deux ou trois premières passes de ce fameux combat, pas une voix dans la galerie ne fit entendre un cri d’encouragement. Le brillant Cuff s’était avancé, un sourire de dédain sur les lèvres, aussi allègre, aussi gai que s’il fût allé au bal ; il adressa si bien ses coups à son adversaire, qu’il l’envoya par trois fois mesurer le sol. À chacune de ces chutes, c’étaient des acclamations, c’était au plus pressé à fléchir le genou devant le triomphateur.

« Que de coups je vais recevoir quand ce sera fini ! pensa le jeune Osborne en relevant son homme. Vous feriez bien mieux de céder, dit-il à Dobbin ; ce n’est qu’un mauvais quart d’heure à passer, et vous savez que j’en ai l’habitude. »

Mais Figs, dont tous les membres éprouvaient un tremblement nerveux, dont les narines soufflaient la rage, rejeta de côté son jeune second et revint une quatrième fois à la charge.

Ne sachant comment parer les coups dirigés contre lui, et Cuff ayant commencé l’attaque les trois fois précédentes sans laisser à son ennemi le temps de riposter, Figs résolut de prendre les devants à son tour par une charge à fond de train. En conséquence, comme il était gaucher, il porta son bras gauche au fort de l’action, et à deux reprises l’étendit de toute sa force ; la première fois, il atteignit l’œil gauche de M. Cuff, et la seconde, son admirable nez à la romaine.

Cuff roula par terre, au grand étonnement des spectateurs.

« Bien touché, par Jupin, dit le petit Osborne avec un air de connaisseur, en battant des mains derrière son champion. Ferme du bras gauche, Figs, mon garçon. »

Pendant tout le reste du combat, le bras gauche de Figs fit un terrible ravage. Chaque fois Cuff allait rouler par terre. Au sixième tour, les voix se partageaient à peu près pour crier : « Courage, Figs ! courage, Cuff ! » Au douzième tour, ce dernier était hors de combat, et, à ce qu’on m’a dit, avait perdu toute présence d’esprit, toute vigueur pour l’attaque ou la défense. Figs, au contraire, était aussi impassible qu’un quaker. Sa figure pâle, ses yeux animés, une large balafre sous la lèvre qui laissait échapper beaucoup de sang, donnaient à ce jeune héros un air belliqueux et farouche qui peut-être frappait de terreur plus d’un spectateur. Son intrépide adversaire ne s’en