Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/92

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Après le souper, sir Pitt Crawley se mit à fumer sa pipe ; quand il fit tout à fait noir, il plaça un bout de chandelle sur un brûle-tout, et tirant d’une poche sans fond une liasse formidable de dossiers, il se mit à les lire et à les mettre en ordre.

« Je suis ici pour des affaires de loi, ma chère, et voilà ce qui me procure le plaisir d’avoir demain une si jolie compagne de voyage.

— Il est toujours avec des procès, dit mistress Tinker en se versant à boire.

— Buvez et ne vous gênez pas, dit le baronnet. Oui, ma chère, Tinker dit vrai, j’ai perdu et gagné plus de procès qu’aucun homme en Angleterre. Jetez les yeux sur ceci : Crawley, baronnet, contre Snaffle. J’en aurai raison ou j’y perdrai mon nom de Pitt Crawley. — Podder et Cie, contre Crawley, baronnet ; — les contrôleurs de la commune de Snailby contre Crawley, baronnet. Qu’ils prouvent donc que c’est du domaine public, je les en défie ; ce terrain est bien à moi ; il n’appartient pas plus à la commune qu’à vous ou à Tinker que voilà. Je les mettrai à quia, quand il devrait m’en coûter mille guinées. Regardez un peu ces papiers ; il ne tient qu’à vous, si le cœur vous en dit, ma très-chère ; avez-vous une belle main pour écrire ? Je vous mettrai en réquisition quand nous serons à Crawley-la-Reine, miss Sharp. Maintenant que la douairière est morte, j’ai besoin d’un aide.

— Elle ne valait pas mieux que lui, reprit la Tinker ; elle était toujours en chicane avec ses fournisseurs ; en quatre ans, elle a congédié quarante-huit domestiques.

— Elle était donc avare, très-avare ? dit l’orpheline d’un ton de naïveté.

— Pour moi c’était une perle ; elle me sauvait un homme d’affaires. »

La conversation continua assez longtemps sur ce ton confidentiel, au grand amusement de la nouvelle arrivée. Bonnes ou mauvaises, les qualités de sir Pitt Crawley étaient mises par lui dans tout leur jour, sans qu’il cherchât le moins du monde à les déguiser. Il ne tarissait pas sur son compte, tantôt faisant usage du patois de l’Hampshire dans toute sa rudesse et sa vulgarité, et tantôt adoptant le langage de l’homme du monde. Enfin, on se souhaita le bonsoir, après recomman-