Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/111

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grois. Le domestique qui est venu avec lui sera renvoyé aujourd’hui, et la personne à laquelle il s’est adressé pour avoir un garçon fidèle vous recommandera. Vous êtes Hongrois ; vous avez servi dans la guerre de Sept ans ; vous avez quitté l’armée à cause d’une faiblesse dans les reins. Vous avez servi deux ans M. de Quellenberg ; il est maintenant avec l’armée de Silésie, mais voici votre certificat signé de lui. Vous avez ensuite vécu chez le docteur Mopsius, qui répondra de vous si besoin est ; et le maître de l’hôtel de l’Étoile certifiera, cela va sans dire, que vous êtes un honnête sujet ; mais son attestation ne compte pas. Quant au reste de votre histoire, vous pouvez la fabriquer comme vous voudrez, et la faire aussi romanesque ou aussi comique que votre imagination vous le dictera. Tâchez, toutefois, de gagner la confiance du chevalier en excitant sa compassion. Il joue beaucoup et gagne. Connaissez-vous bien les cartes ?

— Très-peu, comme font les soldats.

— Je vous croyais plus expert. Il faut découvrir si le chevalier triche ; si cela est, nous le tenons. Il voit continuellement les envoyés d’Angleterre et d’Autriche, et les jeunes gens des deux ambassades soupent fréquemment chez lui. Sachez ce dont ils parlent, ce que chacun joue, surtout si aucun d’eux joue sur parole. Si vous lisez ses lettres particulières, vous le saurez comme de raison ; mais pour celles qui sont mises à la poste, ne vous en occupez pas, nous les regardons là. Mais ne le voyez jamais écrire un billet sans découvrir à qui il va, et par quel canal ou quel messager. Il dort avec les clefs de sa boîte à dépêches attachées par un cordon autour de son cou. Vingt frédérics si vous prenez l’empreinte des clefs. Vous irez, comme de juste, en habit bourgeois. Vous ferez bien d’ôter la poudre de vos cheveux et de les attacher simplement avec un ruban ; naturellement votre moustache devra être rasée. »

Avec ces instructions, et une gratification fort mince, le capitaine me laissa. Quand je le revis, il fut amusé du changement qui s’était opéré en moi. J’avais, non sans chagrin (car elle était noire comme du jais et élégamment frisée), j’avais rasé ma moustache ; j’avais ôté de mes cheveux la farine et l’odieuse graisse que j’ai toujours abominées ; j’avais mis un modeste habit gris français, des culottes de satin noir, une veste de peluche marron et un chapeau sans cocarde. J’avais l’air humble et doux autant que peut l’avoir domestique sans place ; et je crois que mon propre régiment, qui était en ce moment à la revue à Potsdam, ne m’aurait pas reconnu. Ainsi accoutré, j’allai à l’hôtel de l’Étoile où était cet étranger, le cœur me bat-