Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/141

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pertes, une lettre amicale de reconnaissance, conçue à peu près en ces termes :

« Mon cher monsieur de Balibari, je reconnais avoir perdu contre vous aujourd’hui, au lansquenet (ou au piquet, ou à la chance, selon le cas, j’étais son maître à tous les jeux du monde), la somme de trois cents ducats, et je regarderai comme une grande bonté de votre part de vouloir bien laisser la dette en suspens jusqu’à une époque ultérieure, où elle vous sera payée par votre très-reconnaissant et humble serviteur. »

Avec les bijoux qu’il m’apportait, je prenais aussi la précaution (mais cette idée-ci était de mon oncle, elle était fort bonne) d’avoir une sorte de facture, et une lettre qui me priait de recevoir les joyaux en à-compte sur une somme d’argent qu’il me devait.

Quand je l’eus mis dans la position que je jugeais favorable à mes desseins, je lui parlai avec candeur et sans réserve, comme on se parle entre hommes du monde.

« Je ne vous ferai pas, mon cher garçon, lui dis-je, le mauvais compliment de supposer que vous vous attendiez à ce que nous continuions de jouer plus longtemps de la sorte, et à ce que j’aie aucune satisfaction de posséder plus ou moins de chiffons de papier portant votre signature, et une série de billets que je vous sais incapable de jamais payer. Ne prenez pas un air farouche ni fâché, car vous savez que Redmond Barry est plus fort que vous à l’épée ; d’ailleurs, je ne serais point assez bête pour me battre avec un homme qui me doit tant d’argent ; mais écoutez avec calme ce que j’ai à vous proposer.

« Vous avez été très-expansif avec moi pendant notre intimité du mois dernier, et je connais parfaitement toutes vos affaires personnelles. Vous avez donné votre parole d’honneur à votre grand-père de ne jamais jouer sur parole, et vous savez comment vous l’avez tenue, et qu’il vous déshéritera s’il apprend la vérité. Bien plus, supposez qu’il meure demain, sa fortune n’est pas suffisante pour payer la somme que vous me devez ; et, si vous m’abandonniez tout, vous seriez un mendiant, et un banqueroutier, qui plus est.

« S. A. la princesse Olivia ne vous refuse rien. Je ne demanderai pas pourquoi ; mais permettez-moi de dire que je savais le fait avant que nous eussions commencé à jouer ensemble.

— Voulez-vous être fait baron… chambellan, avec le grand cordon de l’ordre ? s’écria tout haletant le pauvre garçon. La princesse peut tout sur le duc.