fonçant les éperons dans les flancs de mon cheval, je fis au galop le tour de l’arène, saluant S. A. le duc à l’extrémité opposée, et exécutant avec mon bai les plus merveilleux exercices.
Mon succès, comme vous pouvez imaginer, n’augmenta pas ma popularité parmi les jeunes gens de la cour. Ils me traitèrent d’aventurier, de fanfaron, de pipeur de dés, d’imposteur et d’une centaine de jolis noms ; mais j’avais un moyen de faire taire ces messieurs. Je pris à partie le comte de Schmetterling, le plus riche et le plus brave des jeunes gens qui paraissaient avoir des vues sur la comtesse Ida, et je l’insultai publiquement au Ridotto, en lui jetant mes cartes à la face. Le lendemain, j’étais à trente milles de là, sur le territoire de l’électeur de B…, où je me battis avec M. de Schmetterling, et lui passai deux fois mon épée au travers du corps ; puis je m’en revins à cheval avec mon second, le chevalier de Magny, et me présentai le soir même au whist de la duchesse. Magny avait eu d’abord beaucoup de répugnance à m’accompagner ; mais j’insistai pour qu’il me secondât dans ma querelle. Aussitôt que j’eus rendu mes devoirs à Son Altesse, j’allai à la comtesse Ida, et lui fis une profonde révérence, la regardant fixement au visage jusqu’à ce qu’elle devînt cramoisie, puis promenant les yeux sur chaque homme de son cercle, jusqu’à ce que, ma foi, je leur eusse fait baisser les leurs. Je chargeai Magny de dire partout que la Comtesse était amoureuse folle de moi : commission qu’avec plus d’une autre le pauvre diable fut obligé d’exécuter. Il faisait une assez sotte figure, comme disent les Français, jouant pour moi le rôle de pionnier, me louant en tous lieux, m’accompagnant toujours, lui qui avait été le roi de la mode jusqu’à mon arrivée ; lui qui croyait que sa généalogie de mendiants était supérieure à la race des rois d’Irlande dont je descendais ; qui m’avait cent fois traité en ricanant de spadassin, de déserteur, et m’avait appelé le vulgaire parvenu irlandais ! maintenant je pouvais me venger de ce monsieur, et je m’en vengeais.
J’avais coutume de l’appeler, dans les sociétés les plus choisies, de son nom de baptême, Maxime. Je disais : « Bonjour, Maxime, comment vas-tu ? » aux oreilles de la princesse, et je pouvais le voir se mordre les lèvres de fureur et de vexation. Mais je le tenais dans mes mains, et la princesse aussi, moi pauvre soldat du régiment de Bulow. Et ceci prouve ce que peuvent le génie et la persévérance, et ce devrait être un avertissement pour les grands de ne jamais avoir de secrets, s’ils peuvent faire autrement.
Je savais que la princesse me haïssait, mais que m’importait ?