Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/148

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quant à elle-même, ce serait compromettre mon goût d’homme à la mode que d’avouer que j’en eusse pour elle.



CHAPITRE XI.

Dans lequel la chance tourne contre Barry.


Mes espérances d’obtenir la main d’une des plus riches héritières d’Allemagne étaient maintenant, selon toutes probabilités, et autant que mon propre mérite et ma prudence pouvaient assurer ma fortune, assez certaines de se réaliser. J’étais admis toutes les fois que je me présentais chez la princesse, et avais d’aussi fréquentes occasions que j’en désirais d’y voir la comtesse Ida. Je ne puis dire qu’elle me recevait avec une faveur particulière ; le cœur de cette sotte petite créature était, comme je l’ai dit, ignoblement engagé ailleurs ; et quelque séduisantes que pussent être ma personne et mes manières, on ne devait pas s’attendre à ce qu’elle oubliât tout d’un coup son amant pour le jeune gentilhomme irlandais qui lui faisait la cour. Mais les petites rebuffades que j’essuyais étaient loin de me décourager. J’avais de très-puissants amis, qui devaient m’aider dans mon entreprise ; et je savais que, tôt ou tard, la victoire devait être à moi. Dans le fait, je n’attendais que mon moment pour faire valoir mes prétentions. Qui pouvait deviner le terrible coup du sort qui menaçait mon illustre protectrice, et qui devait m’envelopper en partie dans sa ruine ?

Toutes choses semblèrent pour un temps favorables à mes vœux ; et, en dépit de l’éloignement de la comtesse Ida, il était plus aisé de la ramener à la raison qu’on ne le suppose peut-être dans un absurde pays constitutionnel comme l’Angleterre, où le peuple n’est point élevé dans ces saines doctrines d’obéissance à la royauté qui dominaient en Europe à l’époque où j’étais un jeune homme.

J’ai expliqué comment, par Magny, j’avais la princesse, pour ainsi dire, à mes pieds. Son Altesse n’avait qu’à appuyer cette union auprès du vieux duc, sur qui son influence était sans bornes, et à s’assurer du bon vouloir de la comtesse de Liliengarten (titre romantique de l’épouse morganatique de Son Altesse), et le facile vieillard donnerait l’ordre de notre mariage,