Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/231

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qui venaient présenter leurs devoirs au noble couple nouvellement marié, et, comme la femme de Barbe-Bleue, dans le conte de fées, à inspecter les trésors, les meubles et les nombreuses chambres du château. C’est un énorme endroit qui date d’aussi loin que Henry V, qui fut assiégé et battu en brèche par les gens de Cromwell dans la révolution, et changé et rafistolé, dans un odieux goût suranné, par le Lyndon Tête-Ronde qui hérita de la propriété à la mort d’un frère dont les principes étaient excellents et dignes d’un vrai cavalier, mais qui se ruina principalement à boire, à jouer aux dés, et à mener une vie dissolue, et un peu aussi à soutenir la cause du roi. Le château est situé au milieu d’une belle chasse qui était toute parsemée de daims ; et je dois avouer que j’éprouvais dans les commencements beaucoup de plaisir quand j’étais assis dans le parloir de chêne, les soirs d’été, fenêtres ouvertes, la vaisselle d’or et d’argent brillant de mille lueurs éblouissantes sur les buffets, une douzaine de joyeux compagnons autour de la table, et que je contemplais l’immense parc tout verdoyant, et les bois agités par la brise, et le soleil se couchant sur le lac, et que j’entendais les daims s’appeler l’un l’autre.

L’extérieur était, la première fois que j’y arrivai, un bizarre mélange de toute espèce d’architecture, de tours féodales et de pignons dans le style de la reine Bess (Élisabeth), et de murs grossièrement rapiécés pour réparer les ravages du canon des Têtes-Rondes ; mais je n’ai pas besoin de m’étendre là-dessus, ayant fait faire à très-grands frais une façade neuve, par un architecte à la mode, dans le plus nouveau et très-classique style gallo-grec. Il y avait auparavant des fossés et des ponts-levis, et des murs extérieurs : je les fis raser et remplacer par d’élégantes terrasses, agréablement disposées en parterre d’après les plans de M. Cornichon, le grand architecte parisien, qui vint tout exprès en Angleterre.

Après avoir monté les degrés extérieurs, vous entriez dans une antique salle de vastes dimensions, boisée de chêne noir sculpté, et ornée de portraits de nos ancêtres, depuis la barbe carrée de Brook Lyndon, le grand homme de loi du temps de la reine Bess, jusqu’au corsage lacé et fort ouvert et aux longues boucles de lady Sacharissa Lyndon, que Van Dyck peignit lorsqu’elle était fille d’honneur de la reine Henriette-Marie, et jusqu’à sir Charles Lyndon, avec son cordon de chevalier du Bain ; et milady, peinte par Hudson, en robe de satin blanc avec les diamants de famille, telle qu’elle fut présentée au vieux roi George II. Les diamants étaient fort beaux ; je les fis d’abord