Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/265

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compagnie se couvrait de gloire, mon jeune lord y servant en qualité de volontaire. Il y eut de mes bons amis qui persistèrent à m’attribuer toutes sortes de mauvaises intentions. Lord Tiptoff ne voulut jamais croire que je consentisse à payer aucun billet, à plus forte raison un billet de lord Bullingdon ; la vieille lady Betty Grimsby, sa sœur, s’obstina à déclarer que le billet était faux et le pauvre lord défunt, jusqu’à l’arrivée d’une lettre de lord Bullingdon lui-même à sa mère, où il disait être à New-York, au quartier général, et décrivait tout au long la fête splendide donnée par les officiers de la garnison à nos chefs distingués, les deux Howe.

En attendant, j’eusse réellement assassiné milord que je n’aurais pas été en butte à plus de honteuses attaques et de diffamations que je n’en essuyais à la ville et à la campagne. « Vous apprendrez la mort du jeune homme, à coup sûr, s’écriait un de mes amis. — Et puis viendra celle de sa femme, ajoutait un autre. — Il épousera Jenny Jones, » ajoutait un troisième, et ainsi de suite. Lavender m’apportait la nouvelle de ces propos ; tout le pays était soulevé contre moi. Les fermiers, les jours de marché, portaient la main à leurs chapeaux d’un air sombre et se détournaient de moi ; les gentilshommes qui suivaient ma chasse se retirèrent brusquement et quittèrent mon uniforme ; au bal du comté, où j’avais invité lady Suzanne Capermore et pris ma place le troisième dans la danse, après le duc et le marquis, selon mon habitude, tous les couples se détournèrent quand nous vînmes à eux, et nous laissèrent danser tout seuls. Sukey Capermore a une passion pour la danse qui la ferait danser à un enterrement pour peu qu’on l’invitât, et j’avais trop de cœur pour plier devant une insulte si signalée, de sorte que nous dansâmes avec les gens du plus bas étage, aux derniers rangs, — des apothicaires, des marchands de vin, des procureurs et toute cette écume que nous tolérons dans nos assemblées publiques.

L’évêque, qui était parent de milady Lyndon, s’abstint de nous inviter au palais épiscopal lors des assises ; en un mot, on me fit toutes les indignités qu’il est possible d’accumuler sur un innocent et honorable gentilhomme.

Ma réception à Londres, où je menai alors ma femme et ma famille, ne fut guère plus cordiale. Quand je présentai mes respects à mon souverain, à Saint-James, Sa Majesté me demanda, d’un ton épigrammatique, quand j’avais eu des nouvelles de lord Bullingdon. Sur quoi je répliquai, avec une présence d’esprit peu commune : « Sire, milord Bullingdon se bat pour Votre