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Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/290

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dans la circonstance ci-dessus, où les perfides desseins de ma femme avaient été déjoués par ma prévoyance et par sa propre écriture, j’eusse d’amples preuves de la fausseté de son caractère et de sa haine pour moi, cependant elle parvint encore à me tromper, en dépit de toutes mes précautions et de la vigilance de ma mère. Si j’eusse suivi les conseils de cette bonne dame, qui flairait le danger d’une lieue, pour ainsi dire, je ne serais point tombé dans le piège qui m’était tendu, et qui le fut d’une manière aussi heureuse qu’elle était simple.

Les relations de milady Lyndon avec moi étaient singulières. Sa vie se passait dans une sorte d’extravagante alternative d’amour et d’aversion pour moi. Si j’étais de bonne humeur avec elle, ce qui arrivait quelquefois, il n’était rien qu’elle ne fît pour entretenir et accroître ces bonnes dispositions, et elle était aussi absurde et véhémente dans ses expressions de tendresse qu’elle l’était, à d’autres moments, dans ses démonstrations de haine. Ce ne sont pas les faibles et faciles époux qui sont le plus aimés, d’après mon expérience. Je crois que les femmes préfèrent un peu de violence de caractère, et ne pensent pas plus mal d’un mari parce qu’il exerce son autorité haut la main. J’avais su faire une telle peur de moi à milady, que, lorsque je souriais, c’était vraiment une ère de bonheur pour elle ; et, sur un signe de mon doigt, elle arrivait en rampant comme un chien. Je me souviens que, pendant le peu de jours que je passai à l’école, je voyais rire mes plats et lâches camarades, dès que notre maître daignait faire une plaisanterie. Il en était de même au régiment toutes les fois qu’un matamore de sergent était disposé à être jovial ; il n’y avait pas une bouche de conscrit qui ne se fendît jusqu’aux oreilles. Eh bien, un mari sensé et résolu amènera sa femme à cet état de discipline ; et j’amenai, moi, la mienne, toute grande dame qu’elle était, à me baiser la main, à me tirer mes bottes, à aller et venir pour moi comme une servante, et, qui plus est, à être aux anges quand j’étais de bonne humeur. Je me fiai trop, peut-être, à la durée de cette obéissance passive, et j’oubliai que l’hypocrisie même qui en fait partie (tous les gens timides sont menteurs dans l’âme) peut s’exercer d’une façon qui n’est rien moins qu’agréable, afin de vous tromper.

Après le mauvais succès de sa dernière aventure, qui me fournit d’inépuisables occasions de la railler, on aurait pu croire que je me méfierais de ses intentions réelles ; mais elle trouva moyen de me fourvoyer avec un art de dissimulation tout à fait admirable, et m’endormit dans une funeste sécurité : car, un jour