Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/39

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et j’eus la satisfaction de voir que le nez du capitaine saignait, comme le mien aussi ; mais le sien était coupé en travers, et sa beauté gâtée à tout jamais. Ulick se secoua, se rassit tranquillement, remplit son verre et me poussa la bouteille. « Tenez, jeune baudet, dit-il, buvez-moi cela, et qu’on ne vous entende plus braire.

— Au nom du ciel ! que signifie tout ce tapage ? dit mon oncle. Est-ce que ce garçon a de nouveau la fièvre ?

— Tout cela c’est votre faute, dit Mick d’un ton bourru, à vous et à ceux qui l’ont amené ici.

— Cessez ce bruit, Mick, dit Ulick en se tournant sur lui ; soyez poli pour mon père et pour moi, et ne me forcez pas de vous apprendre à avoir des manières.

— Oui, c’est votre faute, répéta Mick. Qu’est-ce que ce vagabond a à faire ici ? Si j’étais mon maître, je lui ferais donner le fouet et je le mettrais à la porte.

— C’est ce qu’on devrait faire, dit le capitaine Quin.

— Vous ferez bien de ne pas l’essayer, Quin, » dit Ulick, qui prenait toujours mon parti ; et se tournant vers son père : « Le fait est, monsieur, que ce petit singe est tombé amoureux de Nora, et que l’ayant trouvée qui remontait du jardin avec le capitaine, aujourd’hui, il a voulu tuer Jack Quin.

— Eh bien ! il commence de bonne heure, dit mon oncle de la meilleure humeur du monde. Ma foi, Fagan, ce garçon-là est un Brady, des pieds à la tête.

— Écoutez-moi, monsieur B., s’écria Quin se hérissant ; j’ai été insulté grossièrement dans cette maison ; je ne suis pas du tout satisfait de vos manières d’agir ici. Je suis Anglais, entendez-vous, et j’ai de la fortune ; et je… je…

— Si vous avez été insulté, et que vous n’ayez pas de satisfaction, rappelez-vous que nous sommes deux, Quin ; » dit Ulick d’un air brutal. Sur quoi, le capitaine se mit à laver son nez dans l’eau, sans rien répondre.

« M. Quin, dis-je du ton le plus digne que je pus prendre, peut aussi avoir satisfaction quand il lui plaira, en s’adressant à Redmond Barry, esquire, de Barryville, » discours auquel mon oncle éclata de rire (comme il faisait de tout), et à ce rire, à ma grande mortification, se joignit le capitaine Fagan. Je me tournai vivement sur lui, et lui signifiai que, tout enfant que j’étais, pour mon cousin Ulick, qui avait été, toute ma vie, mon meilleur ami, et dont j’avais pu supporter jusqu’ici les mauvais traitements, de lui-même j’étais résolu à n’en plus supporter ; et, à plus forte raison, toute autre personne qui voudrait prendre