Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/67

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tins ce grade de Fagan durant notre voyage vers l’Elbe, et je fus confirmé dans ce rang in terra firma. Il m’avait été promis aussi une hallebarde, et ensuite peut-être un grade d’enseigne, si je me distinguais ; mais il n’était pas dans les intentions du Destin que je restasse longtemps soldat anglais, comme on le verra présentement. En attendant, notre traversée fut très-favorable ; mes aventures furent racontées par Fagan aux autres officiers, qui me traitèrent avec bonté ; et ma victoire sur le gros porteur de chaise, on le sait, m’avait valu la considération de mes camarades de l’avant. Encouragé et fortement exhorté par Fagan, je fis résolument mon devoir ; mais, quoique affable et de bonne humeur avec les soldats, je ne m’abaissai jamais jusqu’à frayer avec des gens de si bas étage, et entre eux ils m’appelaient généralement : « Milord. » Je crois que ce fut le porteur de torches, un facétieux drôle, qui me donna ce titre, et je me sentais digne de ce rang autant qu’aucun pair du royaume.

Il faudrait un plus grand philosophe et un autre historien que moi pour expliquer les causes de la fameuse guerre de sept ans dans laquelle l’Europe fut engagée ; et, vraiment, son origine m’a toujours paru si compliquée, et les livres écrits là-dessus étaient si prodigieusement difficiles à comprendre, que j’ai rarement été plus avancé à la fin d’un chapitre qu’au commencement : en conséquence, je ne fatiguerai pas mon lecteur de mes investigations personnelles à ce sujet. Tout ce que je sais, c’est qu’après que l’amour de Sa Majesté pour ses États de Hanovre l’eut rendu fort impopulaire dans son royaume d’Angleterre, quand M. Pitt était à la tête du parti anti-allemand, tout d’un coup, M. Pitt devenant ministre, le reste de l’empire applaudit à la guerre autant qu’il la détestait auparavant. Les victoires de Dettingen et de Crefeld étaient dans toutes les bouches, et le héros protestant, comme nous appelions cet athée de vieux Frédéric de Prusse, était adoré par nous comme un saint peu de temps après que nous avions été sur le point de lui faire la guerre, de concert avec l’impératrice-reine. Maintenant, de façon ou d’autre, nous étions pour Frédéric ; l’impératrice, les Français, les Suédois et les Russes étaient ligués contre nous, et je me souviens que lorsque la nouvelle de la bataille de Lissa nous arriva au fond de notre Irlande, nous la considérâmes comme un triomphe pour la cause du protestantisme, et illuminâmes, et allumâmes des feux de joie, et eûmes un sermon à l’église, et célébrâmes le jour de naissance du roi de Prusse, à l’occasion de laquelle mon oncle se grisa, comme il faisait, du reste, en toute autre occasion. La plupart des