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de privilèges spéciaux et d’une autorité quasiment illimitée sur les masses ouvrières et paysannes. Cette bureaucratie est elle-même commandée par une classe encore plus privilégiée de «camarades responsables» — la nouvelle aristocratie soviétique.

La classe ouvrière est divisée et sub-divisée en une multitude de catégories: les oudarniki(les troupes de choc des travailleurs, à qui l’on accorde différents privilèges), les «spécialistes», les artisans, les simples ouvriers et les manœuvres. Il y a les «cellules» d’usines, les comités d’usines, les pionniers, les komsomols, les membres du Parti, qui tous jouissent d’avantages matériels et d’une parcelle d’autorité.

Il existe aussi la vaste classe des lishenti,les personnes privées de droits civiques, dont la plupart n’ont pas la possibilité de travailler, ni le droit de vivre dans certains endroits : elles sont pratiquement privées de tout moyen d’existence. Le fameux «carnet» de l’époque tsariste, qui interdisait aux juifs de vivre dans certaines régions du pays, a été réinstauré pour toute la population grâce à la création du nouveau passeport soviétique.

Au-dessus de toutes ces classes, règne la Guépéou, institution redoutée, secrète, puissante et arbitraire, véritable gouvernement à l’intérieur du gouvernement. La Guépéou à son tour possède ses propres catégories sociales. Elle a ses forces armées, ses établissements commerciaux et industriels, ses lois et ses règlements, et dispose d’une vaste armée d’esclaves : la population pénitentiaire. Même dans les prisons et les camps de concentration, on trouve différentes classes bénéficiant de privilèges spéciaux.

Dans l’industrie règne le même genre de communisme que dans l’agriculture. Un système Taylor soviétisé fonctionne dans toute la Russie, combinant des normes de qualité très basses et le travail à la pièce — système le plus intensif d’exploitation et de dégradation humaine, et qui suscite d’innombrables différences de salaires et de rémunérations. Les paiements se font en argent, en rations, en réductions sur les charges (loyers, électricité, etc.), sans parler des primes et des récompenses spéciales pour les oudarniki.En clair, c’est le salariatqui fonctionne en Russie.

Ai-je besoin d’ajouter qu’un système économique fondé sur le salariat ne peut avoir le moindre lien avec le communisme et en est l’antithèse absolue?

V

Telles sont les principales caractéristiques du système soviétique actuel. Il faut faire preuve d’une naïveté impardonnable, ou d’une hypocrisie encore plus inexcusable, pour prétendre, comme le font les zélateurs du bolchevisme, que le travail forcé en Russie démontre les capacités «d’auto-organisation des masses dans le domaine de la production».

Étrangement, j’ai rencontré des individus apparemment intelligents qui prétendent que, grâce à de telles méthodes, les bolcheviks «sont en train de construire le communisme». Apparemment certains croient que construire une nouvelle société consiste à détruire brutalement, physiquement et moralement, les plus hautes valeurs de l’humanité. D’autres prétendent que la route de la liberté et de la coopération passe par l’esclavage des ouvriers et l’élimination des intellectuels. Selon eux, distiller le poison de la haine et de l’envie, instaurer un système généralisé d’espionnage et de terreur, constitue la meilleure façon pour l’humanité de se préparer à l’esprit fraternel du communisme !

Je suis évidemment en total désaccord avec ces conceptions. Rien n’est plus pernicieux que d’avilir un être humain et d’en faire le rouage d’une machine sans âme, de le transformer en serf, en espion ou en victime de cet espion. Rien n’est plus corrupteur que l’esclavage et le despotisme.

L’absolutisme politique et la dictature ont de nombreux points communs : les moyens et les méthodes utilisés pour atteindre un but donné finissent par devenir l’objectif. L’idéal du communisme, du socialisme, a cessé