Page:The universal anthology - vol. 19, 1899.djvu/27

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Mais ni la nature ni l’histoire ne précédent ainsi par mouvements brusques ou révolutions totales. On n’avait pas encore tire de la poésie personnelle tout ce qu’elle contenait de ressources. Elle n’avait pas épuise la fécondité de sa formule. Aucun des grands contemporains de Gautier n’avait dit tout ce qu’il avait à dire, n’avait achevé sa confession. Et puis, et surtout, au lendemain de 1830, non seulement les temps n’étaient pas favorables au culte épicurien de l’art pur, mais de nouveaux problèmes s’étaient d’eux-mêmes proposes aux poètes, et ainsi, de religieuses qu’elles etaient dix ans auparavant, leurs préoccupations, dans une société dont tous les principes etaient remis en doute, etaient elles-mêmes devenues philosophiques et sociales.

On en trouvera la preuve dans Les Feuilles d’Automne, 1831, de Victor Hugo, dans ses Chants du Crépuscule, 1835, et dans ses Voix intérieures, 1837, ou dans le Jocelyn, 1836, de Lamartine, et dans sa Chute d’un Ange, 1838. Jocelyn est, à vrai dire, le seul poème un peu étendu qu’il y ait dans la langue française, et, bien qu’inachevée, la Chute d’un Ange n’est pas le moindre effort ni le moindre témoin du génie de Lamartine. Dans l’un et dans l’autre de ces deux poèmes, toutes les qualités des Méditations se retrouvent, et quelques-unes s’y exagèrent, ainsi l’abondance et la fluidité ; mais d’autres qualités s’y ajoutent, plus rares, et qu’en général on n’admire pas, on ne loue pas assez chez Lamartine. Lamartine a créé en France la poésie philosophique, puisqu’enfin d’André Chénier, qui avait eu cette grande ambition, nous ne possédons que le plan seulement de son Hermès, avec une cinquantaine de vers, et que Les Discours sur l’Homme de Voltaire, qui sont d’ailleurs de la morale plutôt que de la philosophie, ne sont surtout que de la prose. Mais quelques-unes des idées les plus abstraites que puisse former l’intelligence humaine, on pourrait dire les plus métaphysiques, Lamartine a réussi plus d’une fois à les exprimer sans qu’il en coûtât rien à la clarté de sa langue et à l’harmonie de son vers. C’est un autre encore de ses mérites, et qui brille surtout dans Jocelyn, que d’être familier, non seulement sans devenir prosaïque, mais sans cesser d’être noble. Et ce n’est point là, chez lui, ce qu’on appelle une attitude. Sainte-Beuve, un peu jaloux, a tout