Page:The universal anthology - vol. 19, 1899.djvu/29

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de philosopher, e’en est certainement une, et, après douze ans de silence littéraire ou d’action politique, de 1840 à 1852, quand il reviendra aux vers, c’est cette préoccupation philosophique que l’on verra le ressaisir pour ne plus l’abandonner désormais. Il est vrai qu’alors sa philosophie différera prodigieusement du catholicisme de ses débuts, mais pourtant il aura le droit de dire que la constance et l’intensité de cette préoccupation chez lui sont toujours d’ordre religieux. Elles le préserveront jusqu’à son dernier jour du double et contraire excès de la poésie purement personnelle et de la doctrine purement naturaliste.

Cependant, ― et tandis que Lamartine et Hugo dirigeaient ainsi le lyrisme romantique et la poésie personnelle vers la poésie philosophique et sociale, ― Musset, descendant au contraire « jusqu’au fond désolé du gouffre intérieur, » faisait éclater et retentir quelques-uns des plus beaux cris de passion qu’on eut entendus en français et dans le monde. Nous ne parlons ici que de cinq ou six pièces, La Lettre à Lamartine, Les Nuits, Le Souvenir, pas davantage, qui ne font pas en tout un millier de vers, et ou quelques délicate se plaignent de trouver encore un peu de rhétorique ; mais elles traverseront les ages ; et les poètes à venir en pourront égaler, mais ils n’en surpasseront pas l’amère, et douloureuse, et poignante éloquence. Les Nuits de Musset sont à la fois ce qu’il y a dans notre langue ou dans notre poésie de plus personnel et de plus réaliste. L’aventure avait été vulgaire, et le dénouement, bien que cruel, n’en avait rien eu d’extraordinaire ! Mais le poète a senti si profondément sa souffrance, et sa vie toute entière en a été du coup si complètement dévastée, qu’on ne saurait imaginer de pire effondrement, ni de catastrophe plus irréparable des passions de l’amour. Pour exprimer l’orgueil de sa passion, son horreur de l’infidèle, son désespoir et sa détresse, il a trouvé des accents si lamentables et si profonds, qu’aux yeux les plus secs ils arrachent presque autant de larmes qu’il en a versées lui-même sur « son pauvre amour enseveli. » Et, entre la réalité de son malheur et nous, il a interposé si peu de « littérature, » et le cri de son cœur a jailli si spontanément que nous n’avons jamais communique plus directement avec un de nos semblables. C’est pour toutes ces raisons,