Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/209

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de Hiuen-Té ; l’or, l’argent, les étoffes précieuses qui lui arrivaient ainsi, il remettait tout cela dans un endroit particulier qui tenait lieu de trésor, après en avoir écrit le détail exact. Tous les trois jours il se permettait de franchir une fois les portes de la partie réservée de sa demeure, pour aller devant l’entrée du gynécée saluer les deux dames et leur demander des nouvelles de leur santé. Celles-ci s’informaient de leur époux ; et le frère dévoué ne les quittait que quand elles lui permettaient de se retirer[1].

Tsao qui savait tous ces détails, redoublait d’attention à l’égard de Yun-Tchang ; mais celui-ci restait triste. Un jour, ayant remarqué que le héros portait une tunique de guerre, faite de soie brochée d’une couleur verte, passablement usée, le premier ministre en choisit une parmi les siennes qui était toute brodée de nuances diverses, et la lui donna. Yun-Tchang l’accepta, mais il la mit en dessous, portant par-dessus celle qui attestait de longs services ; puis, comme Tsao riait un peu de cette économie excessive, il répondit : « Ce n’est point par extrême économie que j’agis de la sorte. — Mais, dit Tsao, en ma qualité de ministre des Han, ne puis-je donc pas vous faire présent d’une tunique ? Pourquoi la cachez-vous sous cette autre qui est tout usée, si ce n’est par économie ? »

Yun-Tchang répondit : « Cette tunique, je l’ai reçue jadis du seigneur Hiuen-Té, parent de l’Empereur ; tant que je la porte sur moi, il me semble le voir ; irais-je préférer celle que votre excellence me donne aujourd’hui, et mépriser ainsi ce vieux cadeau d’un frère ? Voila pourquoi je garde celle-ci ! — Sublime fidélité ! » s’écria Tsao avec admiration.

Mais si le premier ministre louait de bouche la loyauté de principes qui distinguait le héros, dans son cœur il s’en affligeait.

  1. Il faudrait savoir par cœur Meng-Tsé pour apprécier cette conduite d’un jeune frère à l’égard des femmes d’un frère ainé, conduite en tout conforme aux rites ; détails de politesses et d’égards respectueux qui ne sont guère dans nos mœurs. Aussi l’édition in-18 dit-elle en note : « De nos jours trouverait-on un frère comme celui-là ? Non ! » La phrase du texte est littéralement celle-ci : « Quand elles disaient : beau-frère, ne vous gênez pas ! — Alors il osait prendre congé. »