Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hiuen-Té est mon jeune frère d’adoption[1] ; vos troupes allaient le serrer de près, et moi, j’ai dû voler à son secours. — Hélas, reprit Ky-Ling terrifié, plus de doute, je vais périr de vos mains ! — Ce serait un crime de vous tuer ; naturellement j’ai horreur des combats[2] ; il me plaît bien davantage de faire cesser vos querelles. — Et comment vous y prendrez-vous pour arriver à ce but ? — Je saurai vider le différent et ramener la paix ; j’ai trouvé un moyen ; vous vous en rapporterez à la volonté du ciel. — Alors, général, expliquez-vous ; permettez-moi d’entrer sous cette tente pour conférer à loisir. »

Ky-Ling fit quelques pas en avant et se trouva face à face avec Hiuen-Té ; les deux ennemis se saluèrent mutuellement, mais ils éprouvaient un embarras mêlé de crainte. Alors Liu-Pou s’assit entre eux, ayant le premier à sa gauche et le dernier à sa droite ; il fit verser du vin aux conviés, et quand la coupe eut plusieurs fois circulé à la ronde : « Seigneurs, leur dit-il, par égard pour moi, vous allez renvoyer vos troupes comme elles sont venues ! » Hiuen-Té ne répondit rien ; Ky-Ling objecta qu’ayant, par ordre de son maître (Youen-Chu), mis en campagne une armée de cent mille hommes, tout exprès pour détruire la puissance de Hiuen-Té, il ne lui convenait pas de s’en retourner sans coup férir. Là-dessus, Tchang-Fey, brandissant son glaive, s’écria avec l’accent de la colère : « Nous avons peu de troupes, j’en conviens, mais je me moque de vous, comme d’une armée d’enfants. Fussiez-vous un million de brigands, de Bonnets-Jaunes, ce ne serait pas une raison pour oser faire une insulte à notre frère aîné ! »

Kouan-Kong arrêta le bras de l’impétueux guerrier : « Tu vois bien, lui dit-il, que le général Liu-Pou tient ici une conférence, et que nous sommes chez lui[3] ; attends que chacun soit de

  1. Voir vol. Ier, page 220.
  2. Il y a de l’ironie dans ces paroles de Liu-Pou, qui est le plus guerroyant de tous les personnages du San-Koué-Tchy, après Tchang-Fey, le frère adoptif de Hiuen-Té.
  3. Le texte chinois dit seulement fa-lou, qui signifie tractare aliquem ; le tartare rend cette expression par le verbe kamambi : voir le dict. d’Amyot.