Page:Theodore Pavie - Histoire des trois royaumes vol 2, Duprat, 1851.djvu/54

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cavaliers se rendit d’abord, et quand il parut, ce général lui demanda : « Envoyé de Liu-Pou, quel sujet vous amène ? — Je suis un serviteur des grands Han, répondit le rusé mandarin avec un sourire ; pourquoi m’appelez-vous serviteur de Liu-Pou ! Je sais qu’en défendant la personne de Sa Majesté[1] dans le Kouan-Tchong, vous avez acquis une gloire immortelle, et que vous n’avez pas démérité du souverain. Vous êtes un héros pur et sans tache ; mais en prêtant le secours de votre bras à ce rebelle Youen-Chu, vous abandonnez la perle brillante pour saisir un tas de boue, vous rejetez le jade pour prendre le caillou ! vous vous faites le renom d’un homme déloyal, infidèle à ses devoirs ! vous vous déshonorez à tout jamais ! Général, j’en rougis pour vous… Quoi ! Entraîné par un mouvement de mauvaise humeur, vous perdez une réputation glorieuse qui devait passer dans les siècles à venir. Et puis, ce Youen-Chu, il y a longtemps qu’il vous voit avec défiance ; un jour, croyez-le, il vous fera périr. — Hélas ! répliqua Han-Sien, je voudrais servir l’Empereur légitime ; mais l’occasion, le moyen me manquent. »

A ces mots, Teng lira la lettre de Liu-Pou et la montra a Han-Sien ; elle était ainsi conçue :

« Moi, Liu-Pou, j’ai appris que les deux généraux (Han-Sien et Yang-Fong) ont acquis une gloire impérissable en secourant l’Empereur dans sa retraite. Un mécontentement accidentel les a portés à se jeter hors des passages (hors des lieux où Sa Majesté commande). Quittez la mauvaise voie où vous[2] marchez, pour entrer dans une autre moins dangereuse et plus sûre ; abandonnez les hommes sans cœur, sans droiture, pour vous rallier aux gens de bien ; joignez-vous à moi pour secourir l’Empereur, pour anéantir de vils rebelles ; portant ainsi vos vues vers l’avenir, acquérant une renommée qui se transmettra

  1. Voir vol. Ier, page 249.
  2. Littéralement : changer le vieux et établir le neuf ; abandonner ce qui ne vaut plus rien, le quitter pour s’affermir sur une base solide et non altérée. Les mots chinois et ting, dans le sens qu’ils ont ici, sont des expressions empruntées au Chou-King. Le tartare traduit ces mots par : changez une ancienne faute en une conduite nouvelle et bonne.