Page:Theuriet – Frida.djvu/45

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assis autour d’une longue table sur laquelle fumait dans un large plat un ragoût noirâtre, qui me sembla un brouet de sorcières…

Décidément, ce n’était pas avec la princesse que l’on m’avait convié à souper, mais tout bonnement avec ses domestiques. En ma petite cervelle mon snobisme enfantin se réveilla. Cela m’humiliait grièvement de ne point être jugé digne de manger avec les maîtres. Je me sentis d’autant plus vexé qu’on me sépara de Céline. On m’installa près d’une vieille édentée, à la tête branlante, aux cheveux gris s’échappant en mèches désordonnées d’une calipette d’un blanc douteux, et rien qu’à l’aspect de ce visage ridé, aux yeux clignotants sous des paupières rougies, je songeai à la méchante fée de la Belle au bois dormant. Ma bonne était allée s’asseoir à côté d’un robuste garçon dont la barbe noire et touffue me rappela la silhouette entrevue, ce tantôt, à la fenêtre de notre salle à manger. Il avait une large bouche s’ouvrant sur deux