Page:Theuriet - Bigarreau, 1886.djvu/18

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« buvait un coup. » L’hiver, il se réfugiait dans la baraque du marchand de marrons ; il fendait le menu bois, entretenait un feu clair sous la poêle trouée, et attrapait de ci et de là quelques châtaignes rissolées, qui lui réchauffaient les doigts d’abord, et ensuite calmaient les impérieuses exigences de son estomac creux. — Tous ces détails revenaient maintenant à la mémoire d’Yvert avec une grande netteté. Il examinait ce visage bouffi d’où les couleurs roses avaient disparu et où le séjour de la prison avait déjà marqué dans le tour des yeux, ainsi qu’au coin des lèvres, les signes d’une dépravation précoce. Il se demandait si, en chargeant jadis ce gamin de huit ans de porter des lettres d’amour aux petites ouvrières de Villotte, et en entretenant ses habitudes de vagabondage, il ne l’avait pas, tout le premier, poussé dans la voie qui aboutit à la maison centrale… Il se sentait à demi responsable de cette corruption, et, pris d’un mouvement de pitié, il regardait presque affectueusement le jeune drôle qui se dandinait, en tournant sournoisement sa casquette dans ses doigts.

— Comment, c’est toi, Bigarreau ? répéta-t-il.