Page:Theuriet - Bigarreau, 1886.djvu/260

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parole… Je suis restée vieille fille, et quand je regarde le portrait de celui qui est mort en m’aimant, il me semble que je vois ses lèvres remuer pour me dire que j’ai bien fait.

— Je vous adore, mademoiselle Sophie, m’écriai-je avec enthousiasme, je vous aime de tout mon cœur… En même temps, je m’élançai vers elle et je me jetai à son cou.

— Tu es un bon enfant, petit ! me dit-elle en me rendant mes caresses, reviens me voir souvent… nous parlerons de lui.

Je la visitai souvent, en effet, et souvent l’histoire de son amour pour Joseph Guiod revint dans nos entretiens. Elle avait gardé le souvenir de ce temps-là jusque dans ses plus petits détails, et sa conversation faisait revivre toute une époque oubliée. Pour la vieille voisine, c’était comme une refloraison de jeunesse ; pour moi, c’était une évocation d’un monde évanoui. Cette passion, âgée de plus d’un demi-siècle, mettait autour de nous une atmosphère de tendresse et de renouveau ; l’antique parfum des fleurs d’oreilles d’ours m’embaumait le cœur, et dans ma jeune imagination de collégien, je sentais, sous cette chaude influence, germer en moi les