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— Bonjour, monsieur et la compagnie… Est-ce ici chez Mlle Charmette de Saint-André ?

— Non, répondit Angélique, devenue soudain très rêche. vous vous trompez, ma mie !

— Je suis pourtant bien au château ?

— C’est possible, mais vous êtes chez M. Jean de Saint-André… Mlle Charmette demeure plus loin, au Pavillon.

— Traversez la cour, mon enfant, et sortez par la petite porte ; c’est la première maison à gauche de la grille, dit obligeamment Vital en se dirigeant vers le vestibule pour mieux montrer la route à Alzine ; mais Angélique ne lui en laissa pas le temps ; elle éconduisit lestement la jeune fille, lui marmotta une brève indication et referma vivement la porte.

— C’est insupportable ! geignit-elle en donnant sournoisement un tour de clef en dedans, on entre ici comme dans une auberge… Qu’est-ce que c’est que cette fille-là ? Probablement la nouvelle servante qu’attend ma sœur… Elle a un bon petit air, hein ?

Une lueur jalouse enflamma les prunelles d’Angélique.

Elle n’est pas mal, fit elle ironiquement, et j’ai vu le moment où vous alliez lui offrir votre bras pour traverser la cour. Ah ! bon sang ne peut mentir… Oncle et neveu, vous ne valez grand’chose ni l’un ni l’autre. À propos, vous ne m’avez pas dit pourquoi vous veniez le voir si matin, votre oncle ?

— Ça, ma chère, c’est mon secret, répondit-il d’un air rêveur, en arpentant lentement la longue salle, les mains dans les poches de son veston.

Debout, appuyée au dossier d’un fauteuil, Angélique observait d’un regard singulièrement attentif l’élégante désinvolture de ce garçon leste et bien tourné, qui semblait répandre autour de lui une bonne odeur de santé et de jeunesse. Les yeux fauves de la gouvernante s’arrêtaient complaisamment sur cette tête fine, cette taille à la fois svelte et robuste, ces pieds petits et bien cambrés, et elle songeait qu’autrefois il n’aurait tenu qu’à elle de faire de Vital son amoureux. Dans cette maigre fille, déjà mûre, dont le sang brûlait encore, une ardente convoitise et je ne sais quel goût de revenez-y s’étaient soudain rallumés. À un certain moment où Vital lui tournait le dos, elle n’y put tenir, se glissa près de lui et posa brusquement ses deux mains sur les épaules du jeune homme.

— Hein ? s’écria-t-il en faisant volte-face.

Elle vit son air suffoqué, et, reprenant soudain ses façons de sainte-nitouche : — Pardon ! balbutia-t-elle, je ne sais ce qui m’a prise, je suis si distraite !… Pourquoi me faites-vous des cachotteries ? Je parie que vous aviez quelque chose à demander à votre oncle. — Si je puis vous aider, continua-t-elle câlinement, comptez sur moi… mais à une condition.

— Voyons la condition…

— Celle que je vous disais tout à l’heure : ne me faites plus de méchancetés ; engagez votre sœur à avoir pour moi des procédés… un peu plus honnêtes, à ne plus me traiter du haut en bas, par exemple, quand elle vient au château…

— Et à vous inviter à dîner ! interrompit railleusement Vital.

— Mon Dieu, répliqua aigrement Angélique, je ne serais pas plus déplacée chez elle que les gens du village… Si on veut que je rende service, c’est bien le moins qu’on soit aimable avec moi… Donnant, donnant !

— Un marché, alors ?… Ma chère, ni ma sœur ni moi ne faisons de ces spéculations-là.

Angélique, ravalant son dépit, grimaça un sourire, puis, de sa voix la plus plaintivement caressante :

— Ah ! soupira-t-elle, vous ne m’auriez pas répondu de cette façon autrefois ! On voit bien que je ne suis plus jolie… Vous chanteriez sur un autre ton, si j’avais la jeunesse de cette petite qui vient de sortir.

— Vous vous calomniez, ma chère, répondit gaiement Vital, je vous assure que vous êtes encore très verte… Vous avez des yeux qui mettraient le feu aux quatre coins du village.

— Dans tous les cas, ils n’ont guère d’effet sur vous…

Elle s’était rapprochée, avait pris les mains de son interlocuteur et les serrait nerveusement dans les siennes.

— Soyez aimable avec moi, vous n’aurez pas à vous en repentir … Quoique j’aie dix ans de plus qu’au temps où vous me faisiez la cour, je suis encore de taille à bien aimer ceux que j’aime, et à bien détester ceux qui me veulent du mal… Quand on est gentil garçon comme vous, on n’a pas le droit d’être dur avec une femme… Nous serons amis, dites, voulez-vous ?

Elle se frôlait contre lui comme une chatte, et sa voix basse, un peu entrecoupée, suppliante et perfidement enjôleuse, résonnait si près de l’oreille du jeune homme qu’il sentait sur son cou le souffle des lèvres d’Angélique. Vital commençait à être mal à l’aise et se demandait avec ennui, s’il allait en être réduit à jouer le sot rôle de Joseph près de cette madame Putiphar, quand un pas solide retentit dans le vestibule, et une main vigoureuse secoua en vain la porte fermée.

— Eh bien, Angélique, cria-t-on du dehors, qu’est-ce que ça signifie ? Tu te verrouilles, maintenant !… Dépêche-toi de m’ouvrir, sacredieu !