Page:Theuriet madame heurteloup 1918.djvu/82

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c’est une misérable et laide chose que la vie !

— Vous me direz tout ce que vous voudrez, répondait le bonhomme en hochant la tête ; oui, c’est vrai, dans la vie de ce monde on a du fil à retordre et il y a tout plein de choses qui vont de travers… Personne ne le sait mieux que moi et que Norine ; depuis que nous sommes mariés, nous avons travaillé comme des chevaux et nous avons eu bien de la tablature… Que soit ! J’ai trouvé, tout de même, qu’il y avait encore des quarts d’heure où on est heureux de vivre.

— Lesquels donc ?

— C’est difficile à expliquer, mame Heurteloup, surtout pour moi qui ne suis qu’une bête, — et Fanfan souriait et hochait la tête de son air narquois, — je vas essayer pourtant… Voyez-vous, dans ce monde où il y a tant de misère, tant de choses qui vont à hue quand elles devraient aller à dia, et tant de chrétiens qui en souffrent, je me pense qu’il faut que tout un chacun mette un peu du sien et tache de pousser à la roue pour aider le voisin… Quand on a contenté les autres, on est plus content de soi, et quand on est content de soi, on ne voit plus tant le mauvais côté des choses…

Mme Heurteloup restait pensive. Elle contemplait toujours la friche nue. À cent pas en arrière, le soleil, perçant tout à coup la nuée, faisait courir sur la plaine, juste à la place où se trouvaient les deux amoureux, un petit îlot de lumière qui se mouvait lentement, de sorte que Loïse et Vital, au milieu de la friche grisâtre, semblaient cheminer dans un nimbe doré. — Ce spectacle détendait sans doute les fibres nerveuses de Mme Heurteloup, car elle soupirait profondément. À la fin, elle murmura d’un ton plus radouci :

— Oui, la misère et la méchanceté humaines se font équilibre, c’est pourquoi il faut avoir pitié.

— Il faut avoir bon cœur, riposta Fanfan, ça raccommode tout.


FIN