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opposition sociale, non-conformismes de toute nature, balancés, d’ailleurs, par des conformismes aussi vigoureux et aussi paradoxaux. Les mœurs de la liberté littéraire étaient à moitié étrangères à l’ancienne monarchie, l’étaient tout à fait à la Révolution et à l’Empire. Dans la suite l’habitude les a émoussées et banalisées, et il a fallu, pour nous en faire sentir récemment la présence, qu’elles disparussent d’une grande partie de l’Europe. Mais de 1825 à 1848, cette comparaison que nous faisons dans l’espace se fait dans le temps, et cette liberté est encore assez mesurée, parfois assez bridée pour qu’on ait besoin d’employer quelque art à s’en servir, quelque souplesse à en tourner les obstacles. C’est d’ailleurs presque une loi en littérature que la première génération qui jouit d’un bienfait en tire le meilleur parti et en épuise la substance originale : aux débutants les mains pleines.
La Révolution technique.
Nulle part peut-être ces mains comblées et cette faveur de la prélibation n’apparaissent mieux que dans la position privilégiée de cette génération au regard des techniques.

Deux sortes de techniques importent à la littérature : les techniques proprement littéraires, et les techniques matérielles qui servent à la propulsion et à l’expansion de la littérature.

La révolution des techniques littéraires entre 1820 et 1840 ne peut-être comparée qu’à celles du XVIe siècle. Bien que les amis de Victor Hugo lui aient offert un exemplaire de Ronsard in-folio avec cette inscription : « Au plus grand inventeur de rythmes que la poésie française ait eu depuis Ronsard », c’est moins dans l’invention de techniques nouvelles que dans une manière extraordinaire et hors de pair de se servir des techniques anciennes (auxquelles il y avait peu de chose à ajouter) que consiste la supériorité créatrice de la poésie lyrique romantique. Pour ce qui concerne le roman, cette génération en a créé, au contraire, de toutes pièces les techniques, avec Balzac, Dumas, George Sand, Mérimée, à un point tel que c’est par la déficience ou le refus des techniques et de la construction, non par leur impossible perfectionnement, que le roman cherchera dans la suite à varier ou à progresser.. Si cette génération n’a pas trouvé pleine