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large qu’à n’importe quelle époque antérieure. Un contemporain a fait remarquer que durant les quelques mois qui précèdent la Révolution de 1830, dans l’opposition contre Polignac, le Globe et le National, journaux et équipes de jeunes qui n’ont pas vu la Révolution, prennent une position anti-dynastique, dont le Journal des Débats, organe de MM. Bertin qui avaient vingt ans en 1789, se trouve gardé par leur expérience de jeunesse, laquelle leur défend « d’aborder avec une sorte de familiarité irréfléchie ces terribles questions qui touchent à l’existence même des peuples et des rois ». C’est cette familiarité qui conduira la génération des enfants du siècle à la Révolution de 1848, les fera jouer, avant 1848, à la Révolution Française, comme ils avaient joué avant 1830 à la Révolution, encore plus éloignée dans le temps, d’Angleterre.

La familiarité de cette génération avec l’idée de révolution politique nous importe ici moins que sa familiarité avec les idées de révolution littéraire. Poésie, théâtre, roman, philosophie, histoire, entre 1820 et 1830, entrent dans la carrière avec un programme plus ou moins révolutionnaire, en rupture avec quelque tradition. L’analogie entre le romantisme en littérature et la Révolution en politique est un lieu commun d’alors, et les deux mouvements, les deux décrochements, déterminent des coupures analogues dans la suite française.

La trouée au centre.
L’appel d’air de la politique à la littérature est en effet, de toute cette génération, un caractère unique. Deux fois, en 1830 et en 1840, il se fait sentir au point de compromettre et de découronner la littérature.

La monarchie de 1830 fut d’un certain point de vue la monarchie des professeurs. Non des professeurs dans leur chaire, mais des professeurs hors de leur chaire. C’est de leur chaire que les trois orateurs de la Sorbonne, Guizot, Villemain, Cousin, s’élancent les premiers vers la tribune et les grands bureaux. La place restait ainsi libre pour un Sainte-Beuve, simple journaliste, et cependant personne n’a plus déploré que lui « la retraite brusque et en masse de toute la portion la plus distinguée et la plus solide des générations déjà mûries, des chefs de l’école critique, qui ont déserté la littérature pour la politique et les affaires. Les services que ces