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C’est en 1830 que vient au premier plan ce sentiment profond d’une liaison entre la révolution littéraire et la révolution politique. Évidemment l’idée de ce parallélisme était ancienne. Elle remplissait en 1800 la Littérature de Mme de Staël, qui se trouvait d’accord avec Bonald pour voir dans la littérature « l’expression de la société ». Mais sous la Restauration le romantisme, révolutionnaire par sa forme, était conservateur par les idées de ses poètes, par leurs traditions de famille, l’accueil des salons, la bienveillance du pouvoir, le prestige de M. de Chateaubriand qui le maintenait comme on dit, à droite. D’autre part les libéraux et ce que Mme de Girardin appellera la jeunesse Touquet (du nom du libraire qui lançait les éditions populaires de Voltaire) restent attachés à la forme et aux idées de leurs maîtres du XVIIIe siècle, à l’esprit des idéologues ; 1830 mettra fin à ces contradictions de surface, fondra dans le métal de la Révolution à majuscule ces trois révolutions, si différentes par leurs origines et leur personnel, la Révolution française, la Révolution de Juillet, la Révolution du romantisme.

L’ode de Lamartine sur les Révolutions mettrait à ce tournant la grande marque décorative. La poésie de Victor Hugo en vivra. Il est remarquable qu’au retour de Lausanne, ce soit dans cette langue et ces métaphores de la Révolution que Sainte-Beuve exprime sa rupture avec l’ennemi, la Montagne, fasse son discours-programme de modérantisme classique. Cette mode de la référence révolutionnaire, qui correspond à un mode de penser et de vivre la littérature, se terminera à peu près avec la vie de Chateaubriand (1848), qui en aura fourni curieusement la mesure. Sa fin coïncidera déjà un peu avec la fin du romantisme littéraire, révolutionnaire après 1843, et ensuite et surtout avec la fin de la Révolution politique « jouée », qui a pour premier acte l’Histoire des Girondins, pour deuxième acte la Révolution de Février, pour troisième acte les trois mois au pouvoir de Lamartine, pour quatrième acte la présidence du Prince, et pour catastrophe du cinquième acte le coup d’État. La mythologie littéraire de la Révolution disparaît en 1851. Aussi, quand Victor Hugo écrit à Jersey, en 1854, la Réponse à un Acte d’Accusation et Quelques mots à un autre, où cette mythologie s’extravase