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II
LE ROMANTISME
Définition.
Les termes de classique et de romantique ont mené dans la langue, jusqu’au début du XIXe siècle, une vie obscure et intermittente. Classique, qu’on trouve déjà au XVIe siècle, a deux sens : l’un ancien, conforme au sens latin de classicus, soit, appliqué à un auteur, écrivain de la première classe, ou, comme nous dirions, « de classe », grand cru classé de la littérature, — un autre plutôt péjoratif, auteur bon pour les classes des collèges. C’est au premier sens que La Harpe parle des « auteurs classiques » et au second que Beaumarchais, dans l’Essai qui sert de préface à son drame d’Eugénie, en fait un synonyme de pédant. Romantique est plus récent. On en a trouvé un emploi obscur, au sens de romanesque avec la désinence alors péjorative, comme celle de fantastique, dès 1675. Il ne devient d’usage que dans le dernier quart du XVIIIe siècle, Rousseau l’ayant appliqué au lac de Bienne (et en effet les lacs vont être avec lui et Lamartine les berceaux de la poésie romantique). Il est introduit dans le Dictionnaire de l’Académie en 1798, avec cette définition : « il se dit ordinairement des lieux, des paysages qui rappellent à l’imagination les descriptions des poèmes et des romans ». En quelques années il en vient à désigner, à l’inverse, les poèmes, les romans, les œuvres d’art qui rappellent à l’imagination des paysages solitaires, des lieux privilégiés, des présences plus intimes de la nature. D’ailleurs dès 1793, la Chronique de Paris écrivait : « La musique du citoyen Méhul est romantique. » Mieux encore, l’est évidemment en 1800 la musique autochtone des montagnes pour Senancour,