Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publics. Cette diversité de goûts qui règne aujourd’hui, cette netteté et cette vivacité des partis littéraires, c’est au romantisme qu’il faut en faire remonter l’origine.

Nous ayant habitués à un pluralisme contemporain d’idées et de tendances esthétiques, il nous a accoutumés à un pluralisme analogue dans l’espace et dans la durée.

2° Le Pluralisme.
Dans l’espace, on ne saurait dire qu’il nous a fait connaître les littératures étrangères, étant donné que d’abord nous ne les connaissons encore qu’assez exceptionnellement, et qu’ensuite, au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’influence de la littérature italienne, espagnole, anglaise, avait été au moins aussi forte qu’a pu l’être, au temps du romantisme, et après lui, l’influence des littératures allemande ou russe. Mais ces littératures étrangères, il nous a habitués, à tort ou à raison, à les mettre sur un pied d’égalité non seulement avec la nôtre, mais avec les littératures anciennes, dont le classicisme faisait des modèles inégalés. C’est ainsi qu’on a parlé au XXe siècle d’humanités modernes, et donc qu’on a admis, depuis les réformes scolaires de 1902, que les littératures étrangères de l’Europe moderne avaient, pour la formation de l’esprit et du goût, une valeur égale à celle des littératures anciennes. Or c’est là un héritage du romantisme, c’est-à-dire de la première génération littéraire française qui ait mis Shakespeare au-dessus de tout.

Dans la durée, dans la révélation et l’exploration de la durée, l’influence du romantisme n’a pas été moins grande. Le sens de l’histoire, la révélation du passé comme d’une troisième dimension, sont entrés dans nos manières de penser et d’écrire. Il ne s’agit pas seulement ici de l’effort plus ou moins réussi par lequel le roman historique, le drame historique, Alexandre Dumas ou Victor Hugo, ont habitué le public à s’intéresser d’une manière pittoresque et vivante aux choses du passé. Nous faisons bon marché de ce côté du romantisme. Il s’agit bien plutôt de la manière dont, depuis une centaine d’années, nous avons contracté une certaine habitude de penser historiquement, de voir les choses de la littérature, de l’art, de la politique, de la science, de la philosophie, dans leur succession et, comme disent les Allemands, dans leur devenir. On a admis de plus en plus, avec