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III
LAMARTINE

Lamartine ne publia les Méditations qu’à trente ans. Mais précisément leur poids et leur qualité sont faits d’une durée vraie, lente, régulière, de saisons qu’elles ont derrière elles. Ou mieux, de deux durées qui se croisent et qui s’accordent.

La tradition poétique.
La tradition poétique. D’abord la durée d’une poésie. Lamartine a commencé par la poésie du XVIIIe siècle, et il ne l’a jamais entièrement quittée. Il aura toujours dans l’oreille le vers de Voltaire et de Parny. Sa poésie y retombera dans ses moments de facilité. L’élégie lamartinienne continue la plaintive élégie, en longs habits de deuil, et il y a une suite Parny-Lamartine que double une suite Eléonore-Elvire. Le lecteur et la lectrice de 1820 restent ainsi dans une famille et un climat connus. Et pourtant, devant les Méditations, ces préludes ne comptent plus. Une longue poésie chrysalide aboutit à une poésie ailée. Cela même que le génie de la Restauration éveillait dans la société, cette fleur de jeunesse héritière, cette première poésie de la tradition que vulgarisera, en la desséchant, le soleil de Juillet, la poésie des Méditations la déposait, l’idéalisait à l’état pur.
La tradition personnelle.
D’autre part, la durée d’un poète, d’un poète dans sa province, c’est-à-dire dans le monde où l’on dure. Des écoles, des nostalgies — et aussi de nobles sentiments, des principes, tout un « Comment un jeune homme doit être » pour les dames — et un grand amour, qui, au temps préfix, laboure tout cela, y sème les dents surnaturelles du dragon, fait sortir du sillon héréditaire la moisson miraculeuse. Il y eut vraiment,