Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
laisses séparées par des points, où Lamartine imite (comme le dit la préface attribuée à son éditeur) le récit lyrique et coupé de Byron. La Mort de Socrate est un très curieux poème, d’abord en ce qu’elle nous montre à plein combien Lamartine, que Jules Lemaître appelle un grand Hindou, était étranger à l’art grec — ensuite parce qu’inspirée de la traduction que Cousin venait de donner du Phédon elle prend place dans ce mouvement spiritualiste qui soulève la société de la Restauration ; — enfin parce que l’élan oratoire en est souvent magnifique, que ces flots de ténèbre bleue, d’encens et de musique, ce mythe de Psyché, cette prophétie de Socrate, s’ils nous paraissent bien étrangers à la Grèce, transposent en poésie l’art de Prudhon, Clunysois comme les ancêtres de Lamartine. Et pourquoi, chez Lamartine, le jeune Phédon nous rappelle-t-il la Sainte Thérèse de Bernin ? Peut-être parce que, depuis 1820, Lamartine vivait la plupart du temps en Italie. Un italianisme emphatique, opulent, harmonieux et mol va circuler jusqu’en 1830 dans son lyrisme.
Les Nouvelles Méditations.
Et d’abord dans les Nouvelles Méditations, qui paraissent en même temps que la Mort de Socrate. Évidemment moins neuves que les premières, elles sont plus riches. Le poète gagne, s’épanouit. Le Lac des Nouvelles Méditations c’est la baie de Naples : Ischia, la douceur vaporeuse d’une nuit méditerranéenne, un peu mandoline et sorbet, mais la strophe divine, la musique pure. Le Poète mourant dépasse d’un fort coup d’aile son titre désuet et pleurard. Bonaparte est la première de ces grandes odes solides dont chaque strophe, comme une victoire, avance d’un pas ailé, pose la sonore sandale d’airain, et qui formeront après 1830 le plus beau chœur du lyrisme lamartinien. Mais les Étoiles sont déjà une Harmonie, une harmonie de la nuit. Ce nocturne de Lamartine a la mollesse de l’écharpe lactée sur la terre et les eaux, il est une vision déroulée dans une moiteur élyséenne et tendre, la sensation de la poussière cosmique où nous flottons, de l’espace vivant où vogue la planète. Les Préludes, eux, montent en gerbe, en triomphe de virtuosité pure. La muse s’y met nue par un beau jour de Toscane, dans l’orgueilleux éclat de sa beauté : « Sonate de poésie » dit Lamartine ; écrite à Florence, bien entendu. Le